L’hôpital

Les Echos.fr : Frédéric Valletoux : « L’équation demandée à l’hôpital est insoluble »

Octobre 2018, par infosecusanté

Frédéric Valletoux : « L’équation demandée à l’hôpital est insoluble »

Solveig Godeluck|Etienne Lefebvre

Le 19/10


Le président de la Fédération hospitalière de France salue l’orientation du plan hôpital mais estime, un mois après sa présentation, que « le compte n’y est pas » dans le budget 2019 de la Sécurité sociale. Il appelle à une régulation des dépenses de la médecine libérale et à « plus de volontarisme sur la pertinence des soins ».

Emmanuel Macron a dévoilé le 18 septembre son plan de transformation du système de santé. Quel est votre état d’esprit un mois après ?

Ce plan a le mérite de donner une vue d’ensemble, où chacun trouve sa place, la ville comme l’hôpital, avec une gradation des soins et une approche qui part des territoires. On ne focalise pas sur l’hôpital uniquement. Sur le papier, la réforme est cohérente et bien pensée ; notre système de soins en sortira fortifié à moyen-long terme. Mais il faudra bousculer certaines habitudes. Et ma grande crainte, c’est que rien ne change dans l’immédiat, alors qu’il faudrait réguler les soins de ville et accompagner financièrement la transition. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019 devait être le premier rendez-vous vers la transition, mais le compte n’y est pas ! On n’y retrouve ni l’approche par les territoires, ni les nouvelles régulations pour la médecine de ville. Nous comptons sur le travail d’amendement des parlementaires.

L’objectif de dépenses d’assurance-maladie, l’Ondam, a tout de même été accru de 400 millions d’euros pour 2019...

Oui, mais la mécanique ne change pas par rapport aux budgets précédents . Le gouvernement continue à surestimer l’activité des hôpitaux, à baisser les tarifs au regard de cette surestimation et à sous-estimer la progression de leurs charges. Ainsi, il n’y a plus aucun lien entre le coût du soin pour une pathologie et la somme versée aux hôpitaux pour ce soin.

En parallèle, on nous gèle des crédits, puis on ponctionne ces crédits gelés pour financer les dépassements de la médecine de ville qui, elle, n’est pas du tout régulée. C’est une mécanique délétère, kafkaïenne, qui se répète depuis des années.

En réalité, il aurait fallu remettre à plat la construction même de l’Ondam, pour mettre en oeuvre dès 2019 des financements au parcours, à la pertinence et l’approche par les territoires. Si on reste dans le cadre actuel, ça ne marche pas.

Le vrai problème serait donc encore et toujours le financement ?

Je vais peut-être vous surprendre, mais le système de santé n’a pas besoin de plus d’argent. Avec 200 milliards d’euros, on peut soigner les Français. Le sujet est de dépenser mieux car il y a beaucoup de déperdition, de redondance, d’actes injustifiés. Il faut plus de volontarisme sur la pertinence des soins. Le président de la République dit lui-même que 30 % des dépenses de santé sont inutiles ; ça fait beaucoup. Alors faisons en sorte que l’Assurance-maladie régule mieux les soins. Commençons par observer la fréquence des actes et des interventions chirurgicales. Nous l’avons fait à la Fédération hospitalière de France, et nous avons observé des différences de pratiques importantes entre les départements, pour toutes les pathologies. Etablissons des écarts-types, des moyennes, et mettons en place un remboursement dégradé voire un déconventionnement pour les établissements ou les professionnels de santé qui s’écartent trop des référentiels. L’hôpital qui opère beaucoup plus de la hanche que la moyenne ou la clinique qui fait deux fois plus de césariennes doivent être incités à revenir à la normale. Ce n’est pas facile à faire, car on touche à la rémunération de l’hôpital, du chirurgien... Il faut le faire en 3 à 5 ans. Mais il faut commencer maintenant !

Emmanuel Macron a promis de restreindre la tarification à l’acte, pour sortir de la course aux volumes. Est ce la solution ?

Dans le budget 2019, il va y avoir un financement au parcours, c’est-à-dire que l’on rémunérera l’établissement au forfait, sur la prise en charge d’une pathologie et non plus sur chaque acte réalisé. Mais seuls le diabète et l’insuffisance rénale chronique seront concernés, et uniquement pour les hôpitaux publics. On n’est pas encore sur le chemin de la transformation ! De toute façon, la tarification à l’activité est un chiffon rouge que brandit le gouvernement, mais ce n’est pas le vrai sujet. Cet outil qui ne représente déjà plus que 55 % du financement des établissements publics a fait son office : il a permis de moderniser l’hôpital, en rapprochant les financements de l’activité réelle, à une époque où l’on reconduisait les dotations chaque année à l’aveugle. A présent, le sujet, c’est la construction de l’Ondam, je le répète. Cet instrument de régulation des dépenses créé dans les années 1990 ne correspond plus aux besoins de la médecine aujourd’hui, car il oppose le public et le privé, la ville et l’hôpital, avec ses deux sous-objectifs distincts, construits différemment avec des incitations et des contraintes différemment répartis. L’Assurance-maladie ne veut pas et ne peut pas geler les dérapages du sous-objectif des soins de ville.

Le déficit des hôpitaux va-t-il encore augmenter ?

Malheureusement, oui. En 2012, il n’y avait pas de déficit. L’an dernier, il a atteint 920 millions d’euros et en 2018, le cap du milliard devrait être franchi. La raison est simple : l’activité va progresser de moins de 1 % alors que le gouvernement fixe des tarifs fondés sur l’hypothèse d’un rythme supérieur à 2 %. On demande par ailleurs à nouveau 960 millions d’euros d’économies aux hôpitaux cette année. L’équation est insoluble. Cela fait quatre ans que j’alerte sur ces évolutions et les faits me donnent raison à chaque fois. Le problème, c’est que les personnels hospitaliers sont en souffrance, et qu’ils ne voient pas de signaux tangibles de changement sur le terrain. Les discours du gouvernement ne sont pas suivis d’effet. Au contraire, on accumule des retards d’investissements, faute de moyens. L’investissement hospitalier est tombé à moins de 4 milliards d’euros par an, là où on estime que 6,5 milliards seraient nécessaires en rythme de croisière.

La transformation des hôpitaux locaux en « hôpitaux de proximité » associant les médecins libéraux est-elle une solution adéquate ?

L’idée de renforcer la proximité est bonne avec des établissements de premier recours bien répartis sur le territoire et des plateaux techniques mutualisés. Cela implique une réorganisation de la carte hospitalière , et sans doute des reconversions de blocs chirurgicaux et de maternités obsolètes ou en sous-activité, qui doivent être fortement accompagnées. Je note que cette réorganisation avait été entamée lors du précédent quinquennat, mais à bas bruit, sans que le gouvernement l’assume. La réforme est cette fois-ci portée politiquement, tant mieux.

Qui doit piloter les hôpitaux de proximité ?

Ils doivent rester dans un groupement hospitalier de territoire, pour garder une cohérence territoriale, c’est d’ailleurs ce qui est prévu.

Mais alors comment convaincre les professionnels libéraux de s’y impliquer ?

Il va y avoir une forte pression pour que la médecine de ville s’organise dans les territoires. Emmanuel Macron a annoncé qu’il ne devrait plus y avoir à terme d’exercice isolé. Tant mieux, car la grande difficulté aujourd’hui pour les établissements est d’avoir en face d’eux, localement, des interlocuteurs libéraux pour travailler sur la permanence des soins, les parcours de prise en charge, les coopérations. L’hôpital souffre des dysfonctionnements du système de santé et d’une grave crise de la médecine de ville. Il en est la victime et pas la cause. Il n’est pas dimensionné pour recevoir plus de 20 millions de passages aux urgences chaque année et ce n’est pas son rôle.

Justement, le rapporteur du budget de la Sécurité sociale, Olivier Véran (LREM), veut inciter financièrement les hôpitaux à renvoyer vers la médecine de ville les patients se présentant sans raison suffisante aux urgences...

Le principe est intéressant mais cela pose des questions pratiques : le patient est-il certain d’obtenir un rendez-vous dans la foulée ? Qui est responsable en cas de problème ? Il faut veiller à ne pas fragiliser financièrement des services d’urgence dont les coûts fixes sont conséquents alors que les cas graves et lourds, les plus coûteux, viendront toujours à l’hôpital. Les économies générées par cette réorientation doivent revenir à l’hôpital.

Olivier Véran veut aussi faire en sorte que l’interdiction de réaliser des actes chirurgicaux soit respectée par les hôpitaux effectuant de trop faibles volumes...

Je suis d’accord, à condition que l’on régule les établissements et les professionnels qui, à l’inverse, font trop d’actes non justifiés. Le sujet doit être pris dans sa globalité. Il y a des actes de qualité technique incontestable mais qui auraient pu être évités. C’est donc bien le sujet de la pertinence, de sa mesure, et de son incitation que nous devons mettre sur la place publique et que le gouvernement doit maintenant prendre à bras-le-corps avec volontarisme.

Son actualité

Frédéric Valletoux, 52 ans, est un ancien journaliste, élu LR au Conseil régional d’Ile-de-France, maire de Fontainebleau depuis 2005. Il a présidé le conseil d’administration puis le conseil de surveillance de l’hôpital de Fontainebleau

Il préside la Fédération hospitalière de France depuis 2011. Il y défend les intérêts de plus de 1.100 établissements publics de santé et 3.500 structures médico-sociales.

En septembre, le plan Santé a jeté les bases d’une nouvelle carte hospitalière, avec des « hôpitaux de proximité » ouverts aux libéraux. Le budget de la Sécurité sociale pour 2019, examiné par l’Assemblée la semaine prochaine, prévoit des crédits supplémentaires pour l’investissement dans les hôpitaux et la qualité des soins, ainsi que de nouvelles d’économies.

Solveig Godeluck et Etienne Lefebvre