L’hôpital

Paris Normandie.fr : Situation des hôpitaux normands : il y a urgence, selon la Fédération hospitalière de France

Novembre 2018, par infosecusanté

Situation des hôpitaux normands : il y a urgence, selon la Fédération hospitalière de France

La FHF (Fédération hospitalière de France) Normandie pousse aujourd’hui un « cri d’alarme » face aux perspectives budgétaires qui, selon elle, menacent toujours plus l’équilibre financier des établissements publics de santé. Or, les derniers chiffres édifiants rappellent à quel point la Normandie demeure une région sanitairement sinistrée.
Thomas DUBOIS

Publié le 15/11/2018 ​

Les difficultés de l’hôpital public ne sont pas nouvelles. Pourquoi la FHF Normandie pousse-t-elle aujourd’hui ce « cri d’alarme » ?
Emmanuèle Jeandet-Mengual : « On attendait tous beaucoup du plan gouvernemental sorti il y a quelques semaines [« Ma santé 2022 », présenté par Emmanuel Macron le 18 septembre, Ndlr]. Je ne nie pas qu’il comporte des éléments intéressants, mais il n’y a rien sur l’hôpital, alors que les signaux d’alarme au sujet des Ehpad, de l’hôpital public, sont remontés ces derniers mois vers la ministre de la Santé, Agnès Buzyn... Du coup, il y a beaucoup de déception. Nous ajoutons à cela des éléments plus conjoncturels, liés au projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Le gouvernement nous dit qu’il a décidé cette année une augmentation de 2,5 %, sauf que Bercy – je suppose que c’est Bercy – surestime beaucoup l’augmentation d’activité dans les établissements hospitaliers. Cela déclenche en conséquence, selon le système tarifaire aujourd’hui en vigueur, une baisse des tarifs, et donc une baisse des recettes qui plonge les hôpitaux dans le déficit. Nous avons déjà constaté un volume important de déficits en 2017 : celui-ci va doubler cette année en Normandie comme dans la France entière. Par ailleurs, la perspective que cela se poursuive en 2019, malgré les discours gouvernementaux, est une évidence, puisque le mécanisme restera le même... Cela fait des années que l’on demande aux hôpitaux des efforts de productivité en interne. Ils n’en peuvent plus. Il suffit de mettre les pieds aujourd’hui dans n’importe quel service d’urgences. »

Ce discours est traditionnellement porté par les organisations syndicales. Le fait qu’il le soit aujourd’hui par la FHF peut-il influer davantage ?
« On l’espère. Je suis très inquiète du sentiment général de découragement qui existe non seulement chez les personnels, mais aussi chez les directeurs et les médecins. À ce point-là, je n’avais jamais vu ça ! Jusqu’à maintenant, on avait des directeurs qui tenaient le levier, même si c’était lourd et difficile. On avait des médecins, du moins pour ceux qui avaient fait le choix de l’hôpital public, qui restaient et qui s’accrochaient, qui trouvaient d’autres centres d’intérêt avec la recherche, etc. Aujourd’hui ils en ont marre, ils s’en vont. Et puis, objectivement, il y a un manque de reconnaissance : le fait, pour le gouvernement, de ne pas entendre les difficultés alors qu’il avait indiqué réfléchir à de nouvelles modalités de financement de l’hôpital... »
Les chiffres régionaux que vous avancez, pour illustrer vos propos, sont une fois de plus édifiants...
« La situation de la Normandie (lire par ailleurs) est extrêmement préoccupante en termes de santé publique : nous subissons une surmortalité importante, notamment par cancer, nous souffrons d’une sous-densité en matière de professionnels de santé... Cela fait des années que l’on est dans cette situation et l’on n’arrive absolument pas à en sortir. Cette densité de médecins continue de diminuer, avec des territoires où l’on en trouve déjà plus. Les perspectives restent très inquiétantes. Je l’avais d’ailleurs dit gentiment à Agnès Buzyn qui accompagnait le président de la République en avril dernier au CHU de Rouen. Elle m’a répondu qu’elle entendait ça partout ! »
Quelles solutions pour enrayer un tel déclin ?
« Il faudrait d’abord instaurer la capacité au niveau national - indépendamment du système de tarification à l’activité (T2A) des hôpitaux - d’attribuer des enveloppes déléguées par région, qui permettraient de prendre en compte les situations locales spécifiques. On pourrait imaginer qu’ici, en Normandie, compte tenu de nos problèmes, nous profitions d’aides sur des investissements cruciaux : il y a des hôpitaux aujourd’hui qui n’arrivent plus à investir et qui n’investissent plus depuis des années. C’est le cas par exemple dans l’Orne, ou dans l’Eure.
Après, il faut corriger la tarification à l’activité telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, notamment pour prendre en compte la situation d’une région comme la nôtre, à la démographie vieillissante et moins dynamique qu’ailleurs. Car aujourd’hui, dans le système actuel, plus vous avez de population, plus vous avez de recettes, ce qui est assez logique. En même temps, dans les régions où vous perdez de la population, vous avez quand même des gens qui ont toujours besoin de médecins, de soins. Or, nous sommes dans un système où les établissements voient quand même leurs recettes baisser parce que le volume d’activité est moins important. Nous avons donc ces hôpitaux en chute libre alors que, objectivement, on a des populations - sur des territoires comme l’Orne, dans l’Eure, le nord-est de la Seine-Maritime - qui ont absolument besoin d’accéder à l’hôpital !
Et puis il faut davantage d’argent pour mieux rémunérer les médecins, il faut augmenter le nombre de professeurs des universités... Quand on regarde par exemple la situation de Rouen, en la comparant au CHU de Grenoble, qui est à peu près équivalent en volume, on a, en gros, moitié moins d’universitaires. C’est bien de dire que le numerus clausus va sauter, mais si derrière on n’a pas l’encadrement suffisant pour former les étudiants... Voilà un certain de nombre de mesures leviers qui sont essentielles. Tout cela ne sera pas forcément résolu, et nous avons nos propres efforts à faire. Nous sommes prêts à y réfléchir, même si nous en avons déjà fait beaucoup. »

La psychiatrie manifeste ce matin à Rouen
Rendez-vous est donné ce jeudi matin à 9 h devant l’hôpital psychiatrique du Rouvray, à Sotteville-lès-Rouen. Les organisations syndicales et le comité de grève de l’établissement, qui fut le théâtre d’un retentissant conflit social long de trois mois entre mars et juin dernier, invitent leurs collègues des autres hôpitaux de la région à un rassemblement, avant une probable manifestation dans Rouen. Des délégations de Caen, d’Évreux ou encore du Havre (où l’hôpital Pierre-Janet a également connu une longue crise avant l’été), sont attendues. Il s’agit toujours de dénoncer le manque de moyens dont souffre la psychiatrie publique. « Le fossé s’est creusé entre les besoins de la population et les moyens dont nous disposons pour y faire face », écrit ainsi l’intersyndicale du Rouvray.
« La lutte menée par les salariés du Rouvray est un peu l’arbre qui cache la forêt : tous les établissements psychiatriques de la région vivent une situation très tendue, confirme pour sa part Emmanuèle Jeandet-Mengual. Les hôpitaux psychiatriques ne sont pas financés par la tarification à l’activité, mais par une dotation globale soi-disant indexée tous les ans sur le coût global des dépenses. Or, cette dotation n’a pas du tout suivi l’évolution des charges, ce qui explique leur situation financière difficile. Agnès Buzyn a elle-même reconnu qu’il y avait une crise de la psychiatrie. On attend toujours un plan spécifique ! »
L’intersyndicale du centre hospitalier du Rouvray, elle, déplore toujours l’« ignorance de la gravité de la situation » de la ministre de la Santé et « son mépris total des patients et des soignants dont la souffrance s’exprime de plus en plus visiblement ».

Données de santé 2018 : les chiffres clés
L’appel de la FHF Normandie s’appuie notamment sur le panorama 2018 des « données de santé » concernant les 121 hôpitaux et structures médico-sociales publics qu’elle représente. En voici quelques-unes, parmi les plus parlantes.
Surmortalité
La Normandie figure en deuxième position du classement des régions ayant la plus faible espérance de vie. L’écart avec la moyenne nationale se resserre à partir de 65 ans, ce qui signifie que cette surmortalité « est principalement liée à la mortalité prématurée », souligne l’étude.
Cancer
La maladie demeure la première cause de mortalité dans le Calvados, l’Eure, l’Orne et la Seine-Maritime. Entre 2009 et 2014, la Normandie a enregistré, en moyenne par an, 8 855 décès par cancers.
Démographie médicale
Ce n’est une surprise pour personne, mais la FHF le rappelle : la Normandie, et tout particulièrement ses départementaux les plus ruraux, souffre de la sous-densité des professionnels de santé. La région compte en moyenne 84 médecins libéraux pour 100 000 habitants contre 91 à l’échelle nationale, ou encore 63 spécialistes libéraux contre 87 au niveau français (dans l’Eure, cette densité chute à 37). « Il faudrait 259 médecins généralistes supplémentaires » dans les départements de l’Eure, de l’Orne et de la Manche « pour qu’ils atteignent la densité nationale », précise la FHF.
Urgences
Les hôpitaux publics restent « les garants de la permanence des soins » en supportant 84 % des passages aux urgences, rappelle le panorama des données de santés : 956 671 passages à l’année pour les urgences générales et 101 983 pour les urgences pédiatriques (chiffres 2017).
Emploi
Les établissements représentés par la FHF Normandie regroupent au total près de 45 000 salariés. L’hôpital public reste ainsi « le plus souvent premier employeur des territoires », assure la fédération.
Finances
Le budget total des hôpitaux publics en Normandie atteint les 3,476 milliards d’euros. 41 d’entre eux sont aujourd’hui considérés comme déficitaires, pour 14 établissements excédentaires. « Plus vous êtes dans un territoire où il y a peu de médecins, que vous êtes obligés de les payer à prix d’or, etc., plus vous êtes en difficulté », précise Emmanuèle Jeandet-Mengual, qui cite Évreux, Alençon, Flers mais aussi Le Havre parmi les secteurs les plus tendus. D’ici la fin de l’année 2018, « tous les hôpitaux seront déficitaires », prédit la co-présidente de la FHF Normandie. Selon la fédération, le déficit cumulé des établissements normands devrait atteindre 90 millions d’euros, contre 48 millions d’euros en 2017.

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