Les professionnels de santé

Infirmiers.com - Alerte rouge sur la santé des professionnels de santé !

Décembre 2018, par Info santé sécu social

07.12.18 par Bernadette Fabregas. Mise à jour le 10.12.18

Les professionnels de santé, hospitaliers ou libéraux, vont mal et la chose n’est pas nouvelle. Epuisement, burnout, fatigue, troubles du sommeil, mauvaise hygiène de vie, tabagisme... le cumul est plus qu’inquiétant, les facteurs de risque d’aller mal étant interdépendants. En effet, toutes les études montrent que si le burnout est associé à une mauvaise hygiène de vie, c’est parce que les conditions de travail engendrent du burnout ce qui amène une mauvaise hygiène de vie. Ce dernier "Carnet de santé des personnels de santé et hospitaliers" réalisé par Odoxa pour la MNH et dont les résultats sont rendus publics ce matin, l’illustre une fois encore et de façon puissante : la santé des soignants est en péril et, plus encore, en "alerte rouge" !

Les mauvaises pratiques et cette carence en prévention des professionnels de santé sur leur propre santé aboutissent non seulement aux niveaux de pathologies et d’insatisfaction au travail préoccupants, et à ces résultats préoccupants sur leur sommeil et leur vie privée « vampirisée » par le travail.

En octobre dernier, Infirmiers.com, aide-soignant.com et cadredesante.com, associés à de nombreux titres de presse spécialisés tels que Le Quotidien du Médecin, Le Généraliste, Le Quotidien du Pharmacien, invitaient les professionnels de santé à répondre à une enquête1 destinée à évaluer leur état de santé. La volonté de cette enquête dont les résultats font l’objet de la 4e vague du Baromètre "Carnet de santé des Français et des personnels hospitaliers" était notamment de "creuser le sujet" ; sujet déjà largement mis en perspective de façon préoccupante par les soignants eux-mêmes qui ne cessent d’attirer l’attention sur leurs conditions d’exercice propices à l’épuisement.

C’est le Pr Didier Truchot, Professeur de psychologie sociale à l’Université de Bourgogne-France-Comté qui a analysé les résultats de cette enquête, livrant un rapport conséquent dont la synthèse va suivre. Parmi les enseignements clés de cette étude, le plus important se décline en une seule phrase "Alerte rouge sur la santé des professionnels de santé !"

Les aides-soignant(e)s perçoivent davantage leur santé comme médiocre, celles et ceux qui exercent à l’hôpital perçoivent davantage leur santé comme mauvaise ou médiocre comparativement à leurs collègues qui exercent en libéral.

« Les cordonniers sont de plus en plus mal chaussés »
Parlons tout d’abord des Français qui, grâce au climat de cet automne 2018, ont été remarquablement peu affectés par des problèmes de santé : « seulement » 21% de malades, soit 2 points de moins que lors de deux derniers automnes… En revanche, il apparaît évident que les cordonniers sont de plus en plus mal chaussés ! Les résultats en attestent : 38% des personnels hospitaliers ont été malades au cours des deux derniers mois, soit presque deux fois plus que la population générale et c’est 6 points de plus que l’année dernière à la même époque ! Le Pr Truchot l’affirme : cause ou conséquence de cela, leur satisfaction au travail s’effondre.

Prévention, vous avez dit prévention ?

Autres enseignements clés de cette étude, les professionnels de santé sont de mauvais élèves en termes de prévention. Fait pour moins étonnant, 18% des soignants (notamment des hommes) n’ont pas de médecin référent. Celles et ceux qui sont le plus à même de diagnostiquer et de prescrire sont les plus nombreux à ne pas avoir de médecins référents. Il s’agit des spécialistes (61.7%), des généralistes (55.9%) et dans une moindre mesure les internes (33.8%), les pharmaciens (15.9%), les dentistes (12.0%), les aides-soignants (9.2%) et dans une moindre mesure, les infirmier(e)s (7.9%). Le Pr Truchot, l’explique : que les médecins (spécialistes ou généralistes) n’aient pas de médecin référent est un fait souvent constaté. En France comme au niveau international, les recherches sur la santé de ce groupe professionnel pointent le fait qu’ils n’ont pas de médecins référent. Ils pratiquent l’automédication, un comportement qui représente des risques importants.

Vaccination, vous avez dit vaccination ?

Là encore, les professionnels de santé sont de mauvais élèves. 53.4% des soignants ne se font jamais vacciner contre la grippe ; pourcentage qui s’élève à 59% chez les infirmier(e)s, 64% chez les aides-soignant(e)s et 57% chez les sages-femmes.
Comportements à risque, vous avez dit comportements à risque ?

En matière de tabagisme, si dans l’ensemble, nos données montrent que les soignants fument moins que la population générale, on observe une grande disparité selon les professions, les pourcentages s’étalant de 7.9% à 22.2%. On observe que ce sont les infirmier(e)s et les aides-soignant(e)s qui sont les plus mal loties. C’est dans ces deux professions que l’on trouve le pourcentage le plus élevés de personnes qui fument 19.8% et 22.2%. Les soignants qui exercent à l’hôpital fument davantage que celles qui exercent en libéral.

Concernant la consommation d’alcool, quatre professions - médecins spécialistes (10.8%), dentistes (7.8%), généralistes (7.6%) et pharmaciens (6%) - boivent de l’alcool quotidiennement. En revanche, les infirmier(e)s (2.3%) les aides soignant(e)s (0.7%) et les sages femmes (3.2%) qui sont habituellement en tête de liste pour les indicateurs préoccupants (ce sont par exemple elles qui fument le plus) font partie ici des professions qui boivent le moins. Ces pourcentages sont plus élevés chez les soignant(e)s travaillant en libéral comparativement aà ceux qui exercent uniquement à l’hôpital.

Les habitudes alimentaires sont également un facteur de qualité de santé à prendre à compte et à évaluer. Si le pourcentage de professionnels de santé qui s’alimentent mal sur le lieu de travail est particulièrement élevé - il concerne au minimum un quart d’entre eux - on observe des disparités. Et ici comme ailleurs, les infirmier(e)s et les aides-soignant(e)s sont parmi les professions les plus affectées.

Autre indicateur important, l’activité physique. L’enquête révèle que les aides-soignant(e)s (44.1%) et les infirmier(e)s (54.7%) sont les professions où la pratique du sport est la plus faible. Elles sont suivies par les pharmaciens (55.9%) et les internes (56.3%). Précision : celles et ceux qui travaillent à l’hôpital uniquement sont moins nombreux à avoir une activité sportive. Ce qui est cohérent avec d’autres données mises en évidence, souligne le Pr Truchot, ceux qui exercent à l’hôpital sont en moins bonne santé que les libéraux.

Toutes les études montrent que si le burnout est associé à une mauvaise hygiène de vie, c’est parce que les conditions de travail engendrent du burnout ce qui amène une mauvaise hygiène de vie.

Qui dit mauvaise hygiène de vie dit plus de surmenage au travail...
L’enquête souligne qu’en moyenne, près de 6 soignants sur 10 travaillent le week-end (15% presque toujours et 44% régulièrement) ; un chiffre qui culmine à 9 sur 10 auprès des infirmier(e)s et aides-soignant(e)s. Interrogés sur la qualité de leur sommeil, 23% des soignants disent avoir des difficultés à dormir tous les jours ou presque. Les professions les plus touchées sont les infirmier(e)s (28.8%) et les aides-soignant(e)s (36.4%). Globalement l’ensemble de ces données accrédite l’idée que l’exercice hospitalier impacte le sommeil de davantage de professionnels comparativement à l’exercice libéral. Quid de la prise de somnifère qui peut en découler, à nouveau les infirmier(e)s et les aides-soignant(e)s sont les professions les plus exposées. Le pourcentage de personnes qui prennent des somnifères est le plus élevé pour ces deux professions, soit 7.3% et 6.9%.

Selon le Pr Truchot, ces mauvaises pratiques et cette carence en prévention aboutissent non seulement aux niveaux de pathologies et d’insatisfaction au travail préoccupants, et à ces résultats préoccupants sur leur sommeil et leur vie privée « vampirisée » par le travail. La question des arrêts de travail dont le nombre élevé semblerait logique montre un paradoxe : les professionnels de santé posent deux fois moins de journées d’arrêt de travail (7,5 jours en moyenne par an contre 14 jours pour les salariés Français dans leur ensemble) que la population générale. Les jours d’arrêts de travail sont cependant plus nombreux chez celles et ceux qui exercent à l’hôpital comparativement à celles et ceux qui exercent en libéral. Ils approchent la moyenne nationale des salariés. Là encore, infirmier(e)s et les aides-soignant(e)s représentent, de loin, les groupes professionnels les plus frappés par les problèmes de santé. Pour le Pr Truchot, c’est évident : « la cocotte-minute » semble prête à « exploser » !

Des facteurs de stress qui plombent le quotidien des professionnels de santé
Les stresseurs perçus par les professionnels de santé se répartissent selon cinq grandes catégories :
• le travail empêché ;
• les comportements d’incivilité des patients ;
• la charge de travail ;
• le débordement de la vie professionnelle sur la vie privée ;
• la confrontation à la souffrance du patient.

On note que l’âge est significativement corrélé avec ces cinq facteurs de stress : plus les participants sont âgés, moins ils perçoivent ces stresseurs. Le Pr Truchot le précise, si ce résultat peut paraître a priori contre intuitif (le poids des ans...), je l’observe régulièrement au cours de travaux portant sur l’épuisement professionnel des soignants. Plusieurs interprétations sont possibles. D’abord, on peut imaginer qu’avec l’âge les soignants ont développé des stratégies de faire face, des ressources, leur permettant de mieux résister aux stresseurs. Ensuite, il est probable que ceux qui souffrent de ces stresseurs, donc les perçoivent fortement, aient quitté la profession.

On observe que les aides-soignant(e)s et les infirmier(e)s sont les deux professions qui perçoivent le plus le travail empêché, la charge de travail, les comportements d’incivilité des patients ainsi que leur souffrance. En revanche, le débordement du travail sur la vie privée est davantage perçu par les orthophonistes, les sages-femmes, les spécialistes. Le débordement du travail sur la vie privée est beaucoup plus perçu par les infirmier(e)s et les sages-femmes exerçant en libéral comparativement à celles qui exercent à l’hôpital. Dans une recherche récente qui nous avons menée auprès de 1678 infirmières libérales, cette interférence vie professionnelle/vie privée était un stresseur qui impactait très fortement le burnout, souligne le Pr Truchot.

Rappelons que les professionnels de santé hospitaliers ne cessent de le dénoncer : ils sont débordés et pour eux, aucun signe d’amélioration en vue, bien au contraire. En effet, les résultats du précédent Baromètre soulignaient que 9 soignants sur 10 avaient le sentiment que leur charge de travail s’intensifiait encore, allongeant leur temps de travail parfois même en dehors de leur temps de travail (rappel sur les jours de repos par exemple…) avec des causes bien identifiées : contraintes administratives, organisationnelles, manque de personnels… Or, on le sait, ce manque de temps a des conséquences lourdes en termes de risques psychosociaux. Le temps de pause se raréfie, le stress et la fatigue augmentent, faisant courir ainsi aux soignants de sérieux risques d’erreurs avec leurs patients.

Globalement, les femmes perçoivent davantage ces stresseurs comparativement aux hommes. Mis à part le débordement de la vie professionnelle sur la vie privée, les infirmier(e)s et les aides-soignant(e)s sont les deux professions qui perçoivent le plus ces stresseurs.

"Patients, prenez soin de vos soignants !"
Eric Galam, professeur des universités, responsable du DIU « Soigner les soignants » l’a déjà souligné, "un soignant a le droit d’être humain et en souffrance, il faut donc l’entendre, le prendre en considération et agir". Ce dernier "Carnet de santé des Français et des personnels de santé et hospitaliers" pointe, une fois encore, le même constat. De plus, cette souffrance, ce manque de considération peut avoir des dommages collatéraux importants au niveau de la qualité des soins dispensés aux patients. Une récente étude s’est penché sur le lien entre moral des soignants et qualité des soins à travers le burn-out des professionnels de santé et les incidents de sécurité sur les patients : 1 soignant sur 2 a déjà subi un burn-out et dans quasiment 1 cas sur 10, ce burn-out conduit au moins à 1 incident médical de sécurité sur un patient. Un chiffre inchangé en 12 mois et qui est même en augmentation de 6% chez les aides-soignants. De son côté le Dr Philippe de Normandie, Directeur des relations santé (Groupe Nehs), n’hésite pas à adresser une impérieuse injonction à nos concitoyens : "patients, prenez-soin de vos soignants" ; un engagement pris également par Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Une chose est sûre, "on améliorera la qualité des soins apportés aux patients que si on se préoccupe des difficultés des soignants ; ils ne peuvent plus être une variable d’ajustement du système de santé."

1- Enquête coordonnée par la MNH, menée par l’institut indépendant Odoxa, en partenariat avec l’association SPS (Soins aux professionnels en santé) et l’expertise du Laboratoire de Psychologie de l’Université de Bourgogne Franche Comté (Didier Truchot, Professeur de psychologie sociale). Enquête réalisée auprès d’un échantillon de professionnels de santé interrogés par internet du 27 septembre au 30 octobre 2018. Echantillon de 6078 professionnels de santé dont 1307 personnels hospitaliers. En détail : 534 médecins généralistes, 506 médecins spécialistes, 71 internes ; 789 infirmier(e)s ; 308 aides-soignants ; 475 sages-femmes ;1 067 masseurs-kinésithérapeutes ; 399 pharmaciens ; 1199 orthophonistes ; 314 dentistes ; 416 autres professionnels.

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern