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Infirmiers.com - Travail de nuit : quand l’aiguille de l’horloge biologique tourne à l’envers

Janvier 2019, par Info santé sécu social

02.01.19 Mise à jour le 08.01.19

Des travaux menés à l’AP-HP chez des infirmières et des aides-soignantes suggèrent que le travail de nuit a un impact important sur l’horloge circadienne. En parallèle une étude britannique de grande ampleur démontre que des perturbations du cycle circadien seraient liées à des troubles de l’humeur et auraient de manière générale des effets néfastes sur le bien-être.

Une analyse sur des soignantes de l’AP-HP montre des divergences importantes entre les travailleuses de nuit et celles exerçant le jour en particulier au niveau de la privation de sommeil.

Déjà en 2007, le CIRC (Centre International de Recherche contre le Cancer) classait le fait d’avoir un travail posté impliquant des perturbations du rythme circadien comme probablement cancérogène. En 2016, c’est l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) qui soulignait non seulement les risques de cancer mais aussi de troubles du sommeil, du métabolisme, cardiovasculaires ou psychique. Cependant, on ignore les répercussions physiologiques directement liées au travail de nuit ou aux horaires décalés. Une équipe de chercheurs de l’Inserm s’est donc lancée dans l’étude des conséquences du rythme de travail sur le cycle circadien chez des soignantes, femmes soumises à des horaires atypiques par excellence !

En effet, leur projet, baptisé CIRCADEM, repose sur l’analyse des données provenant de 215 infirmières et aides-soignantes de l’hôpital Paul Brousse (AP-HP). Les participantes étaient divisées en trois groupes : celles qui travaillaient la nuit, celles en équipe de jour en alternance matin/après-midi, et enfin celles qui exerçaient la journée avec des horaires divers. Plusieurs informations socio-démographiques et médicales ont été récoltées via un questionnaire comme la consommation d’alcool ou de tabac ou la qualité du sommeil. En parallèle, le rythme circadien a été mesuré au cours d’une semaine de travail grâce à un accéléromètre, un appareil qui enregistre en continu l’activité de la personne qui le porte. De même, un dispositif électronique (PICADo) mesurait la température cutanée et des prélèvements de sang ont été effectués au moment de la prise de poste, comme à la fin, afin de doser les marqueurs biologiques de l’inflammation. Une biobanque a également été constituée pour que, dans un second temps, les spécialistes puissent analyser les gènes contrôlant le rythme circadien.

Si les travaux devront être approfondis, les premiers résultats sont déjà révélateurs et montrent de fortes disparités. La privation de sommeil, par exemple, était nettement plus importante chez les soignantes exerçant la nuit par rapport à celles travaillant en alternance (3,1 heures contre 1,6). La qualité du sommeil n’était pas la même non plus, avec de plus grandes variations chez les travailleuses de nuit. D’ordre général, l’horloge circadienne était moins synchrone avec notamment des périodes de somnolence fréquentes alors qu’elles étaient en poste. Bien sûr, d’autre analyses, plus fines suivront.

Un rythme circadien perturbé, ça se traduit comment  ?
Les dérèglements du rythme circadien sont nuisibles pour le métabolisme mais seraient aussi associés à un surrisque de dépression et de troubles bipolaires. C’est ce que suggère une étude de grande ampleur, la première du genre, parue dans The Lancet Psychiatry. Pire, ces perturbations de l’horloge interne seraient liées avec une humeur instable, un sentiment de solitude, une baisse de la sensation de bonheur ainsi que des fonctions cognitives.

L’équipe de chercheurs a analysé les données de plus de 91 000 personnes (hommes et femmes) ! Là encore, les participants ont dû porter un accéléromètre pendant une semaine. Ils ont également complété des questionnaires pour évaluer leur niveau de bien-être, leurs capacités cognitives et diagnostiquer de potentiels troubles mentaux. Les résultats montrent un lien entre une horloge interne altérée, des troubles de l’humeur et un manque de bien-être, affirme le Dr Laura Lyall de l’université de Glasgow, un des auteurs. En revanche, si on a observé cette corrélation, on ne peut pas savoir si les troubles de l’humeur et la sensation de mal-être sont responsables de bouleversements du rythme circadien ou si, au contraire, c’est l’horloge interne perturbée qui rend les personnes touchées vulnérables à ces troubles, explique la spécialiste. Autrement dit, il s’agit d’une étude observationnelle et les liens de cause à effets ne sont pas explicites.

Les scientifiques concluent toutefois leurs travaux en suggérant que l’usage d’accéléromètre pourrait permettre d’identifier les individus à risque de développer une dépression ou un trouble bipolaire, ou ceux pour qui les traitements agissant sur l’horloge circadienne pourraient être bénéfique.

Quoi qu’il en soit, le cerveau est équipé d’une sorte de système de chronométrage interne qui anticipe les changements environnementaux et s’adapte en fonction du moment de la journée. Si ces qui explique pourquoi les perturbations potentielles peuvent impacter la santé. Ces études s’avèrent peu réconfortantes pour les travailleurs nocturnes mais elles restent néanmoins nécessaires afin de trouver un moyen de prévenir les effets de ces dérèglements.

Roxane Curtet