La santé au travail. Les accidents de travail et maladies professionnelles

Les Echos - Amiante naturel dans le bitume : la nouvelle menace qui paralyse les travaux publics

Juin 2016, par Info santé sécu social

Daniel Fortin

L’amiante naturel dans les chaussées oblige les donneurs d’ordre à suivre la réglementation amiante contraignante. Chantiers de voirie annulés, travaux de tramway retardés, surcoûts… les autorités sanitaires vont devoir trancher.

Le sujet est explosif et les professionnels des travaux publics s’en remettent désormais à l’Etat. La découverte d’actinolite, une forme d’amiante naturel, dans le bitume d’un nombre croissant de chantiers fait frémir les maîtres d’ouvrage, villes et opérateurs privés confondus. « Ce sujet nous a tous pris de court et a impacté tous les projets », déclare Didier Bailly, directeur général de la voirie et des déplacements à la Ville de Paris. Les Parisiens devront attendre l’automne 2018 pour aller de la porte de la Chapelle à la porte d’Asnières en tramway. Initialement prévu pour la fin 2017, le T3, cet énorme chantier, lancé par la Ville de Paris il y a deux ans, a pris plusieurs mois de retard à cause de la découverte d’amiante naturel. Et l’affaire n’est pas finie.

Réglementation amiante

Il y a trois ans, personne n’avait ­connaissance de ce phénomène. Le scandale de l’amiante industriel utilisé par les entreprises dans le bâtiment ou pour améliorer la durabilité de la chaussée est bien connu. Il fait l’objet d’une interdiction depuis 1996. La nouvelle menace est bien différente. Et plus insidieuse. D’origine naturelle, l’actinolite est présente dans certains granulats extraits des carrières qui, mélangés au bitume, donnent les enrobés routiers. Elle devient potentiellement dangereuse pour la santé dès que l’on perce, rabote ou concasse. Bref en cas de travaux, même les plus bénins. Cette fibre n’a été découverte qu’à partir de 2012, lorsque la réglementation sur l’amiante a imposé aux maîtres d’ouvrage routiers de réaliser systématiquement des prélèvements sur la chaussée. Mais en l’état actuel des connaissances, il est impossible de définir si cette actinolite est amiantifère ou pas (et donc cancérigène ou pas).

Dans le doute, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), sommée de s’atteler au sujet par les collectivités et les professionnels des travaux publics, a recommandé en décembre dernier d’appliquer le principe de précaution pour protéger les travailleurs et les riverains. En clair, de suivre la réglementation amiante - la règle française étant une des plus strictes au monde. Et, donc, de faire ôter les revêtements suspects par des entreprises certifiées. C’est ce qu’a choisi de faire la Ville de Paris, quand elle a découvert en plein chantier du T3 des traces, au terme d’un millier de prélèvements.

«  « En 2014 et 2015, beaucoup de travaux ont été bloqués dans toute la France »,  »

Les travaux ont alors pris une tout autre tournure. Des barrières de 2 mètres bardées de plastique sont, depuis, érigées autour des zones à risque. Des salariés équipés d’une tenue intégrale (masque, gants, combinaison) sont les seuls habilités à intervenir. Le danger venant principalement des émissions de poussières, le hantier est arrosé en permanence pour contenir la pollution. Restent ensuite les déchets à acheminer dans une installation de stockage dangereux. La partie la plus coûteuse. La ville, qui avait 20.000 m2 de chaussée à traiter dans le cas d’amiante industriel, s’est retrouvée avec 90.000 m2 « pollués » au final, « soit plus de 50 % de la surface totale du chantier », précise Didier Bailly. L’équipe élabore une cartographie des zones amiantées.

Selon plusieurs sources, 30 % à 40 % de la voirie parisienne, la capitale en comptant 1.700 kilomètres au total, serait concernée ! La facture du T3, qui était de 150 millions d’euros, « comprenait déjà une provision de 4 millions d’euros basée sur la présence connue d’amiante industriel et s’est retrouvée augmentée de 11 millions à cause de l’amiante naturel », calcule Didier Bailly.

Paris n’est pas la seule ville ­touchée. Dès les premiers prélè­vements positifs, en Bretagne et à Bordeaux notamment, les salariés ont exercé leur droit de retrait et certaines villes ont stoppé les chantiers. « En 2014 et 2015, beaucoup de travaux ont été bloqués dans toute la France », admet Jean-Baptiste de Prémare, délégué général de l’Union des syndicats de l’industrie routière française (Usirf). Pour ­sortir de ce méandre, l’Anses a de nouveau été saisie. Exploitants de carrière, entreprises routières, collectivités locales sont suspendus aux nouvelles préconisations qui seront rendues début 2017.