L’hôpital

Médiapart - Malades de l’hôpital

Juin 2019, par Info santé sécu social

17 JUIN 2019 PAR PIERRE MICHEL JEAN

Début juin, toute une équipe du personnel paramédical de l’hôpital Lariboisière à Paris s’est mise en arrêt maladie dans le contexte de crise qui frappe les urgences des hôpitaux publics depuis le 18 mars. « Un dévoiement de l’arrêt maladie », selon Agnès Buzyn, ministre de la santé, qui « entraîne une surcharge de travail » pour le reste du personnel. Nous avons rencontré des infirmiers, des infirmières et des aides-soignantes de cette équipe afin qu’ils nous livrent leur lecture de cette situation.

Barbara Coué, 37 ans, infirmière à l’hôpital Lariboisière depuis onze ans, en arrêt maladie depuis le mois de mai. « J’ai un problème à la colonne vertébrale. L’IRM a révélé que j’avais les disques entre mes petites vertèbres abîmés. C’est dû notamment à la manutention des personnes. Quand tu as des personnes âgées lourdes, que tu dois te contorsionner pour les prendre en charge, cela abîme. Une nuit, je vais pour accrocher une perfusion en hauteur et je ne pouvais plus lever le bras au-dessus de la ligne des épaules… Pousser des brancards qui font le double, voire le triple de mon poids avec des gens dessus, quand t’es toute seule, ça craque. Je n’étais plus capable de travailler. Cela fait deux ans que j’ai ce problème, je me disais que ça allait passer, que ce n’était pas bien grave. Et que si je prenais un arrêt maladie, il y aurait automatiquement plus de travail pour les autres. Je n’avais pas envie de mettre mes collègues en difficulté. »

Marine Attik, aide-soignante à l’hôpital Lariboisière depuis quinze ans. « Un jour, j’ai mis un podomètre pour compter mes pas. Et j’ai marché 23 kilomètres cette nuit-là dans les couloirs de l’hôpital. 23 km à pousser des patients sur des brancards cassés. Parfois, les patients sont dans la peine de me voir trimer à pousser un brancard cassé. Parce que je suis obligée de prendre des précautions pour mon dos, faire attention à mes positions pour ne pas me faire mal ou ne pas rentrer dans un mur. Des patients arrivent, te disent “Merci pour tout !” et pourtant certains restent des heures et des heures sur des brancards. Et après, quand ils sortent, ils viennent te saluer et t’encourager. C’est ce qui te fait rester aux urgences. »

Ines Gay, 28 ans, infirmière à l’hôpital Lariboisière depuis quatre ans. « Aux urgences, je suis obligée de m’organiser avec le manque de matériel. Du coup, je fais une croix sur certaines choses que j’ai apprises à l’école. Je n’ai jamais eu les moyens de faire mon boulot comme il devrait être fait. Les conditions de travail sont dégradantes pour les professionnels comme pour les patients. »

Marc-Antoine Baron, 32 ans, infirmier depuis trois ans à l’hôpital Lariboisière. « Si je me trompe d’un milligramme dans le médicament que je dois donner au patient, je peux le tuer. Entre mon salaire et la responsabilité engagée au moment où j’injecte un médicament, il y a un léger décalage. Si tu rajoutes là-dessus la fatigue, le stress d’une situation assez urgente et l’insécurité, ça peut t’amener à l’erreur. Je ne me plains pas du métier que je fais mais plutôt des conditions dans lesquelles je le fais. Quand tu rentres chez toi à la fin de ton travail, quand tu vas te coucher, tu te poses encore mille questions sur ce que t’as eu à faire. Est-ce que j’ai bien fait ceci ? Est-ce que j’ai bien dit cela à ma collègue ? Parce que t’as eu tellement de choses à faire, parce qu’en dix heures tu as vu cinquante patients... tu te poses après des questions du genre : est-ce que je fais mon travail correctement ? »

Anaïs Blot, 32 ans, infirmière arrivée il y a trois mois à Lariboisière. « Mes amis de l’hôpital où je travaillais avant, quand je leur ai dit que j’allais à Lariboisière, m’ont répondu que j’étais folle et suicidaire. Ce qui m’énerve, c’est qu’on commence à accepter des situations inacceptables. On s’habitue à se faire insulter, mais je me dis que non, ce n’est pas normal… À minuit pile, le jour de mon anniversaire l’année dernière, on ne m’a pas dit bon anniversaire, mais plutôt : “Va te faire foutre”, lancé par l’accompagnant d’une personne malade. Il fallait selon lui tout de suite s’occuper de sa mère alors que j’étais déjà en train de prendre en charge un patient qui allait mal. S’il y avait du personnel en plus, il y aurait moins d’attente, moins d’angoisses, et moins d’agressivité. »

Galadrielle Pons, 24 ans, infirmière, travaille depuis deux ans à l’hôpital Lariboisière. « Nous sommes le premier visage que les gens voient à l’hôpital. Donc, il faut que l’on puisse parvenir d’un côté à les rassurer, d’un autre côté à les recadrer parfois, et ce n’est pas le rôle le plus facile. D’autant plus quand on est en manque de personnel, c’est compliqué de pouvoir écouter, rassurer et discuter avec tout le monde, on n’a pas le temps, on fait les choses tellement à la chaîne qu’on n’a plus le temps de parler avec les patients. »

Nathalie Fourmand, aide-soignante depuis huit mois à l’hôpital Lariboisière. « Sur dix heures de travail, on a une heure de pause qu’on ne prend jamais. C’est-à-dire que nous travaillons, pour la plupart, dix heures non-stop et les seuls breaks que nous pouvons faire arrivent quand les pompiers ne nous amènent personne. Alors, on peut souffler ou fumer une clope vite fait pour déstresser. On a cette impression-là et on retourne au charbon. Et avoir l’impression d’aller au charbon, ce n’est pas normal… »
« Cela a des répercussions sur ma vie privée. Je me dis que je ne peux pas m’arrêter, on est tellement peu, on est en tel sous-effectif… Si je m’arrête, qu’est-ce qui va se passer pour les autres ? Du coup, comme plusieurs de mes collègues, je tourne avec des grippes, avec 39 degrés de fièvre. On vient quand même travailler et on se dit voilà, travailler aux urgences, c’est être malade, porter un masque et venir soigner les autres. »

Amie Diomandé, 43 ans, aide-soignante depuis quatre ans à l’hôpital Lariboisière. « Je me suis pris un coup de poing un jour, mes lunettes ont valsé. Depuis, quand je vois un patient un peu agité, je fais deux pas en arrière. Je n’y vais pas tout de suite parce que je me dis que j’ai des enfants. J’essaie de voir avant à quel moment je peux me lancer. »

Hugo Huon, 30 ans, infirmier à Lariboisière depuis cinq ans. Figure du collectif Inter-urgences, lui n’est pas en arrêt maladie, même s’il fait partie de la même équipe soignante. « Sur les cinq années à l’hôpital Lariboisière, j’ai passé un an à faire des attaques de panique tous les jours et à être sous antidépresseurs avec suivi chez un psychiatre. Ce métier est aussi bon qu’il est toxique. Tous les jours, tu vois des choses qui te font dire que cela vaut le coup et d’autres où tu te dis que ce n’est pas normal. L’ambiance d’équipe compense le reste parce que tu t’entends bien avec les collègues. Je suis avec une équipe vraiment sensible à ce qui se passe, motivée pour donner de son temps à l’extérieur bénévolement pour essayer de changer les choses, je serai très triste quand je partirai de là. »