La santé au travail. Les accidents de travail et maladies professionnelles

Marianne - D’après Bruno Ledemé, en matière de droit du travail, le gouvernement a choisi de considérer le COVID-19 comme une grippe saisonnière.

Mai 2020, par Info santé sécu social

Pour le meilleur ou pour le pire le déconfinement voulu par Emmanuel Macron est désormais pleinement engagé. Des centaines de milliers de Français, à commencer par les plus précaires, sont de nouveau sur le chemin du travail. Chaque jour, matin et soir, ils risquent leur santé et leur vie dans les transports pour obéir aux injonctions de reprise d’activité économique du gouvernement. Au lieu de les applaudir et de leur décerner des médailles, le gouvernement devrait faire son travail en permettant à tous ces courageux de prendre le moins de risque possible pour leur santé et celle de leurs proches. Pourtant, peu avares de leçons sur le comportement des Français, les ministres de l’Agriculture, de la Santé et du Travail augmentent sciemment le risque pour les travailleurs en ne prenant pas les décisions qui relèvent pourtant de leurs attributions. Explications.

LA FRANCE MOINS PROTECTRICE QUE L’UNION EUROPÉENNE
Le Code du travail prévoit une classification de la dangerosité des agents biologiques pathogènes en quatre catégories décrites à l’article R.4421-3. Même si le droit est parfois aride, il est important que nous le reproduisions in extenso pour le besoin de la démonstration :

Le groupe 1 comprend les agents biologiques non susceptibles de provoquer une maladie chez l’homme ;

Le groupe 2 comprend les agents biologiques pouvant provoquer une maladie chez l’homme et constituer un danger pour les travailleurs. Leur propagation dans la collectivité est peu probable et il existe généralement une prophylaxie (ensemble des mesures à prendre pour prévenir les maladies, NDLR) ou un traitement efficaces ;

Le groupe 3 comprend les agents biologiques pouvant provoquer une maladie grave chez l’homme et constituer un danger sérieux pour les travailleurs. Leur propagation dans la collectivité est possible, mais il existe généralement une prophylaxie ou un traitement efficaces ;

Le groupe 4 comprend les agents biologiques qui provoquent des maladies graves chez l’homme et constituent un danger sérieux pour les travailleurs. Le risque de leur propagation dans la collectivité est élevé. Il n’existe généralement ni prophylaxie ni traitement efficace.

A la lecture de ce texte, le bon sens invite à classer le Covid-19 dans le groupe 4 ou, au minimum, dans le groupe 3. En effet, à moins de considérer le Covid-19 comme ayant une "propagation dans la collectivité peu probable" et ne présentant qu’un danger limité pour les travailleurs, le groupe 2 est immédiatement éliminé, d’autant qu’il n’existe aucun traitement efficace à ce jour.

Muriel Pénicaud réussit donc l’incroyable exploit de prendre des décisions encore moins protectrices des travailleurs que l’Union européenne qui se distingue pourtant ici encore

C’est d’ailleurs ce raisonnement qu’a suivi le tribunal judiciaire de Lille dans son ordonnance du 5 mai 2020 : "Cette nouvelle forme de virus [...] peut à tout le moins être rattachée à la classe 2 comme le sont les autres coronavidae, bien que ce nouveau virus s’apparente, en réalité, en raison de la gravité de la maladie qu’il provoque (au vu de son caractère létal avéré), et en l’état de l’absence de traitement efficace, aux virus de la classe 3 ou 4 tels que le MERS-CoV ou le SRAS-CoV."

Pour la Commission européenne, le Covid-19 doit être classé dans le groupe 3. La quasi-totalité des syndicats dans l’espace communautaire estiment quant à eux qu’il doit être classé en groupe 4. Apparemment loin de ce débat le ministère du Travail affiche sur son site internet qu’il considère que "le COVID-19 doit être considéré comme un agent biologique pathogène de groupe II." Muriel Pénicaud réussit donc l’incroyable exploit de prendre des décisions encore moins protectrices des travailleurs que l’Union européenne qui se distingue pourtant ici encore.

LES INCOHÉRENCES DU GOUVERNEMENT
Pour en arriver à cette conclusion, la ministre du Travail semble estimer que le Covid-19 fait simplement partie d’une catégorie générale intitulée "Autres Coronavidae" telle que prévue dans un arrêté de 1994. Cet arrêté n’a toujours pas été mis à jour depuis le début de la crise sanitaire. Pourtant, les coronavidae déjà classés sont tous dans le groupe 3. Il s’agit du MERS-CoV et du SRAS-Cov dont parle l’ordonnance du tribunal judiciaire de Lille. Il n’y a aujourd’hui aucun doute sur le fait que le Covid-19 présente un risque au moins aussi important que le SARS ou le MERS.

En maintenant le Covid-19 dans le groupe 2, Muriel Pénicaud, Didier Guillaume et Olivier Véran estiment donc que ce virus n’est pas plus dangereux que la grippe saisonnière (Virus grippal (influenza), types A, B et C), la rougeole ou encore les oreillons, maladies toutes trois classées dans le groupe 2.

Une fois encore, le gouvernement manque totalement de cohérence. Pourquoi limiter les libertés publiques comme il le fait depuis le début de l’état d’urgence sanitaire, pourquoi imposer des mesures de confinement drastiques, et un déconfinement si progressif s’il considère que le Covid-19 n’est pas plus dangereux qu’une grippe pour les travailleurs ? Il suffirait pourtant d’un arrêté conjoint des ministres chargés du travail, de l’agriculture et de la santé pour placer le Covid-19 dans le groupe 3 ou le groupe 4 des agents pathogènes (article R4421-4 du Code du travail).

Pour que les médecins du travail puissent détecter les salariés contaminés, il faudrait qu’ils puissent disposer des capacités de test suffisantes

La réponse est à nouveau limpide et chacun voit clair dans le jeu des dangereux idéologues néolibéraux qui nous gouvernent. Le classement du Covid-19 dans le groupe 3 ou 4 impliquerait pour le Gouvernement et les entreprises de prendre leurs responsabilités pour protéger la population et les travailleurs.

Ainsi, les salariés exposés aux agents biologiques des groupes 3 et 4 doivent faire l’objet d’un suivi médical renforcé impliquant notamment un examen médical d’aptitude préalable à l’embauche, qui était d’ailleurs obligatoire pour tous les salariés avant que la Loi El Khomry ne la remplace par une simple "visite d’information et de prévention". Cette visite médicale a pour objectif de déterminer s’il existe un risque pour le salarié mais également si celui-ci n’est pas porteur d’une affection dangereuse pour les autres travailleurs. L’application de cette réglementation permettrait de détecter en amont un éventuel Covid-19 positif pour éviter une contamination de l’ensemble du collectif de travail tout en respectant le secret médical. Il en va donc à la fois de l’intérêt des travailleurs, de leurs collègues mais également de la lutte générale contre la pandémie. Néanmoins, pour que les médecins du travail puissent détecter les salariés contaminés, il faudrait qu’ils puissent disposer des capacités de test suffisantes, ce qui, rappelons-le, est loin d’être le cas en raison de la désindustrialisation de la France.

Une liste des travailleurs exposés doit être établie et conservée pendant au moins 10 ans par la médecine du travail en cas de survenance de séquelles tardives

Autre élément important, l’employeur doit mettre en place un plan d’urgence pour la protection des travailleurs contre l’exposition aux agents biologiques des groupes 3 ou 4 en cas de défaillance du confinement physique. Il doit en informer les représentants du personnel, l’inspection du travail, la sécurité sociale et la médecine du travail. Enfin, une liste des travailleurs exposés doit être établie et conservée pendant au moins 10 ans par la médecine du travail en cas de survenance de séquelles tardives.

On comprend mieux que ces obligations, et d’autres encore, toutes dépendantes du classement du Covid-19 en groupe 3 ou 4, ne soient guère compatibles avec la petite comptine de la reprise économique entonnée par le gouvernement depuis la décision du Président de la République de déconfiner à partir du 11 mai. Une fois encore, l’État de droit, la sécurité juridique des employeurs et la santé des salariés seront les victimes de l’aveuglement idéologique de nos dirigeants actuels.