L’hôpital

Libération - Ségur de la santé : vraie réforme ou opération de com ?

Juin 2020, par Info santé sécu social

ar Eric Favereau — 29 mai 2020

La concertation sur l’avenir du secteur hospitalier et la médecine de ville s’est ouverte lundi pour sept semaines. Avec quelle mission ? Au sommet de l’Etat, les divergences sont manifestes.

« Les grands-messes à Ségur ? On connaît, ironise le Dr Jacques Battistoni, qui préside MG France, le plus important syndicat de médecins généralistes. Avec Marisol Touraine [ministre de la santé du gouvernement Hollande ndlr] il y en avait au moins une par an. Cette fois-ci, on s’interroge. C’est une opération de com, mais n’est-ce qu’une opération de com ? On hésite. D’autant plus que le discours d’Edouard Philippe nous a franchement inquiétés. » Le Ségur de la santé, du nom de l’avenue ou est logé le ministère, vient de vivre une première semaine incertaine, confuse, peu novatrice. Même s’il est très clairement apparu que l’enjeu n’est aujourd’hui pas tranché au plus haut niveau de l’Etat : se dirige-t-on vers un coup de pouce plus ou moins important pour l’hôpital ? Ou se lance-t-on dans une reforme systémique de la santé avec, par exemple, des moyens donnés à la prévention et à la médecine de base ?

Des absents de marque
Revenons d’abord sur le fonctionnement de ce drôle d’objet qu’est ce Ségur de la santé. En haut, un « Comité ségur national » composé de quatre-vingts personnes, qui représentent quarante organisations ou structures, regroupées en visioconférence. Il y a de tout, des syndicalistes, beaucoup de médecins, des représentants de structures médico-sociales, et des absents de marque, à commencer par le Collectif Inter-Urgences, pourtant à l’origine du mouvement de grève lancé il y a près de deux ans. « C’est incompréhensible et décevant », nous dit Hugo Huon, infirmier qui fut leur porte-parole. « On leur doit tout », poursuit la Dr Sophie Crozier, du Collectif Inter-Hôpitaux. « Pour justifier leur absence, le ministre met en avant qu’il ne voulait pas de représentation catégorielle. C’est injuste car ce sont eux qui ont réussi à décloisonner le combat », rappelle-t-elle.

Autre absence notable, celle des infirmières, en très petit nombre, et les représentants des malades. « Les malades chroniques, c’est 20 millions de personnes. On n’est quasiment pas représentés, alors que si on nous avait écoutés pendant la crise, les choses auraient peut-être été moins difficiles », dit Marie Citrini, représentante des usagers de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris.

Comment tout ce petit monde va-t-il travailler ensemble ? C’est, de fait, l’inconnu. Il y a des groupes de travail aux intitulés très administratifs, avec quatre grands piliers : « Transformer les métiers et revaloriser ceux qui soignent », « Définir une nouvelle politique d’investissement et de financement au service des soins », « Simplifier radicalement les organisations et le quotidien des équipes » et « Fédérer les acteurs de la santé dans les territoires au service des usagers ». Et, en parallèle du Comité Ségur national, un groupe spécial sur les carrières et les rémunérations.

Pour faire tourner cette architecture délicate, l’ancienne secrétaire générale de la CFDT Nicole Notat sera épaulée par trois inspecteurs généraux des affaires sociales aux profils extrêmement classiques. « Sur la méthode de travail, on ne sait rien, j’attends un calendrier », constate le Dr Battistoni. « C’est le flou, on ignore qui participe au groupe de travail, on sait juste qu’il y a un comité de pilotage qui se réunira tous les jeudis », lâche la Dr Anne Gervais, du collectif Inter-Hôpitaux. « Tout se passera ailleurs comme souvent, dans des conversations directes et discrètes », imagine un syndicaliste hospitalier.

Du consensus à tout prix
Clairement, le gouvernement n’a donc pas choisi de débat public, ni même de faire fonctionner de façon transparente une démocratie sanitaire. « Ce n’était pas vraiment possible vu l’objectif de faire vite », concède-t-on au ministère de la Santé. Si on laisse de côté la question des rémunérations, les dossiers chauds sont archiconnus. Ainsi sur l’hôpital, deux sujets dominent : la réforme de la « T2A », la tarification par activité, qui induit une dérive avec une productivité exacerbée peu compatible avec le soin. « Cela fait deux ans que le gouvernement nous dit qu’il va la reformer. Il y a eu des rapports, des missions, des recommandations. Il faut y aller, mais on attend toujours », s’impatiente un ancien directeur des hôpitaux.

Second volet hospitalier, la gouvernance : la crise qu’a vécue l’hôpital avec l’épidémie de Covid-19 a été résolue par une certaine prise de pouvoir des médecins, ou du moins un rééquilibrage de la gouvernance. Tout le monde en convient, les places de chacun sont à redéfinir. La direction de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) l’a habilement compris. Elle a nommé, jeudi, une médecin anesthésiste, la professeure Catherine Paugam-Burtz, comme directrice générale adjointe, ce qui est une première. Pourtant, dans son discours d’ouverture du Ségur, Edouard Philippe s’est montré timide sur ce sujet, expliquant qu’il n’y avait « pas de problème de gouvernance mais un problème de management », se mettant en porte-à-faux avec le souhait présidentiel de « changer profondément l’hôpital ».

L’accès aux soins
Il n’y a pas que l’hôpital au menu du Ségur de la santé. La médecine de ville est là, aux aguets, d’autant qu’elle a eu un rôle important pour gérer l’épidémie. Comment la consolider ? Quel rôle doit-elle avoir dans les Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). « On est prêt à prendre toute notre place », insiste la Confédération des syndicats de médecin français (CSMF). Avec, par exemple, la création d’un service d’accès aux soins pour tous : « C’est essentiel pour lutter contre les inégalités, souligne le Dr Battistoni. Ce projet a été lancé, il était prévu à partir du 30 juin avec un budget de 320 millions d’euros. On attend. »

Les dossiers sont sur la table. « Le risque, c’est qu’ils veulent du consensus. Or, pour avancer il ne faut pas avoir peur des divergences », s’inquiète le professeur André Grimaldi, coordonnateur du « manifeste des soignants ». La coordinatrice en chef, Nicole Notat, ne dit rien. « Notre chance est qu’il semble y avoir une véritable divergence sur le sujet entre Emmanuel Macron et Edouard Philippe », explique un ancien directeur général de la santé, qui s’interroge : « L’un veut une vraie réforme, l’autre ne l’estime pas nécessaire. Qui va l’emporter ? »

Eric Favereau