Perte d’autonomie, “dépendance”

Le Monde.fr : Brigitte Bourguignon, ministre en tandem pour plus d’autonomie

Août 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Brigitte Bourguignon, ministre en tandem pour plus d’autonomie

La nouvelle ministre déléguée auprès d’Olivier Véran a la charge de porter la réforme du grand âge. Elle lancera en septembre le « Laroque de l’autonomie ».

Par Béatrice Jérôme

Publié le 31/07/2020

Le cap Gris-Nez battu par les flots. Brigitte Bourguignon a accroché cette seule photo de la falaise de la côte d’Opale dans son nouveau bureau au ministère de la santé, situé au même étage que celui d’Olivier Véran.

Députée (La République en marche) de la 6e circonscription du Pas-de-Calais, la ministre déléguée chargée de l’autonomie a pris ses marques discrètement début juillet dans le gouvernement de Jean Castex. Avec la ferme intention de porter « la grande réforme sociale du quinquennat », celle qui prendra en charge la perte d’autonomie liée au grand âge, promise par Emmanuel Macron en juin 2018 et sans cesse repoussée.

Un projet « immense », selon M. Véran. Au point que le ministre des solidarités et de la santé n’aurait pas refusé de garder la haute main sur un sujet qui lui tient à cœur. « On va le porter tous les deux… », glisse-t-elle avec malice. Ministre déléguée placée sous sa tutelle, elle sait qu’elle va devoir jouer des coudes. Elle opte d’emblée pour la stratégie de la complémentarité. « On ne m’a pas faite venir pour m’asseoir sur une branche ! », sourit celle qui vient de quitter la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale qu’elle présidait depuis juin 2017.

La création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale consacrée à l’autonomie, une initiative de M. Véran, votée le 23 juillet, est « historique », dit-elle. Mais la politique de l’autonomie n’est pas qu’une question financière. C’est d’abord « un sujet social », registre sur lequel elle se sait nettement plus à l’aise.

Etre ministre de l’autonomie, c’est par exemple faire en sorte que « des résidents en maison de retraite ne soient plus obligés d’attendre une heure avant d’être mis sur les toilettes. C’est se battre pour que la société permette à chacun de s’appartenir jusqu’au bout de sa vie ». D’un mot, théorise-t-elle, « c’est avoir le souci de la dignité de chacun ».

Revalorisation des métiers du grand âge
La kyrielle de rapports au gouvernement et de travaux parlementaires sur le grand âge, ces dernières années, alertent tous sur la « maltraitance institutionnelle » induite par le nombre de soignants insuffisant dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

Olivier Véran a promis « 1 milliard d’euros supplémentaire » dans le prochain projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS), consacré à la nouvelle branche autonomie. Une part sera dédiée à augmenter le personnel des Ehpad, s’est-il engagé. « Les taux d’encadrement doivent être revus très largement à la hausse », martèle Mme Bourguignon.

Mais la « priorité des priorités absolues » sera pour elle la revalorisation des métiers du domicile. « Il faut arrêter de penser à ces métiers après tous les autres ! 60 % des personnes âgées dépendantes vivent chez elles. Cette proportion va augmenter. » En conseil des ministres, son « premier », dit-elle, elle a pris la parole pour déplorer le manque de « reconnaissance » du rôle de cette profession pendant la crise sanitaire et l’urgence d’y remédier.

L’ancien premier ministre, Edouard Philippe, avait promis, mi-avril, une « prime Covid » pour les aides à domicile, mais aussitôt chargé les départements de la financer. A ce jour, plus des deux tiers d’entre eux ont fait la sourde oreille.

Un « Laroque de l’autonomie »
Le 21 juillet, dix-neuf fédérations du secteur ont écrit au chef du gouvernement, Jean Castex, et à Dominique Bussereau, président de l’Assemblée des départements de France, pour que soit corrigée cette iniquité.

Mme Bourguignon, elle, estime avoir la solution et mise sur un feu vert du premier ministre : une cagnotte de 70 millions d’euros qui dort à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Il suffirait de verser la somme aux départements pour qu’ils soient disposés à octroyer une prime, moyennant un apport financier supplémentaire de leur part.

Mais le secteur du grand âge est en attente de bien d’autres marques de considération. Mme Bourguignon a identifié « trois nœuds » qui restent à solutionner. Primo, l’augmentation des salaires des aides à domicile implique de convaincre les départements de mettre la main à la poche. Deuxième sujet sensible : la simplification de la gestion des Ehpad suppose de revoir à la baisse le rôle des agences régionales de santé (ARS) au profit des départements. Or, les professionnels du secteur sont farouchement hostiles à une tutelle unique des collectivités. Le dossier est en cours d’examen à l’Elysée et à Matignon. Troisième « nœud » : le financement de la cinquième branche de la « Sécu », sur lequel un rapport confié à l’ancien directeur de la CNSA, Laurent Vachey, doit donner des pistes à la mi-septembre.

Une fois le rapport rendu, Mme Bourguignon lancera dans la foulée une ultime concertation avec les professionnels. Afin d’en souligner l’ambition, elle a baptisé l’exercice « le Laroque de l’autonomie », en référence à Pierre Laroque, « père » de la Sécurité sociale et auteur d’un rapport fondateur en 1962 sur la politique de la vieillesse. Le « Laroque de l’autonomie » sera dans son esprit le pendant du Ségur de la santé. Il réunira les professionnels et les partenaires sociaux, se déclinera « dans tous les territoires » pendant plusieurs semaines. Ils visent à dégager des conclusions « opérationnelles », dit-elle, afin que des mesures puissent être prises dès l’automne, dans le PLFSS.

« Je n’ai pas appris le social dans les bouquins »
D’autres décisions feront l’objet d’une loi déposée « avant la fin de l’année » indique le ministère de la santé, notamment « pour le secteur du domicile ». L’examen du texte au Parlement n’interviendra pas avant le printemps voire l’été 2021. « On a six mois pour préparer une copie qui permette de faire de cette loi une des priorités de la fin du quinquennat », résume l’entourage de la ministre déléguée.

Pour mener de front ces chantiers, Mme Bourguignon estime avoir deux atouts : son tempérament « militant » et à sa « connaissance du sujet ». « Je n’ai pas appris le social dans les bouquins », rappelle cette ancienne secrétaire médicale qui s’est formée sur le tas.

En 1983, son « premier boulot », au centre d’action sociale de Boulogne-sur-Mer, a été de créer le premier service d’aide à domicile de la ville. « Elle connaît bien le secteur du domicile. Une ministre qui sait de quoi elle parle, c’est rassurant », a constaté Marie-Reine Tillon, présidente de l’Union nationale de l’aide aux domiciles qui l’a rencontrée.

Claude Bartolone s’en porte garant : « Brigitte est une vraie militante du social, un concentré d’énergie. Sur la question de l’autonomie, qui lui tient à cœur, elle existera ! », confie au Monde l’ancien président de l’Assemblée nationale qui a suivi et encouragé son parcours au PS depuis les années 1990. Animateur du courant de Laurent Fabius, M. Bartolone avait repéré le caractère de la jeune militante – qui tenait tête aux caciques de la fédération du Pas-de-Calais. Pour être investie par le PS aux législatives en 2012, se souvient-elle, « j’ai dû donner un gros coup de pied dans la porte ». « Faire preuve de caractère, c’est l’histoire de ma vie », résume Mme Bourguignon.

L’aile gauche de la majorité
Députée d’une circonscription rurale, devenue le terreau du Rassemblement national, elle a rallié Emmanuel Macron entre les deux tours de la présidentielle. Ce qui lui a permis de conserver son siège en 2017. Mais elle a été la première à regretter que le gouvernement d’Edouard Philippe oublie « la jambe sociale » du projet du candidat d’En marche ! Depuis, elle incarne l’aile gauche de la majorité.

A droite aussi, elle passe pour une combattante. « Je l’ai souvent trouvée aussi pugnace à gauche que je le suis à droite ! », s’esclaffe Eric Ciotti, député (Les Républicains) des Alpes-Maritimes et rapporteur de la commission d’enquête sur la gestion de la crise de Covid-19. Celle que Mme Bourguignon a présidée jusqu’en juillet. M. Ciotti loue la manière « objective dont elle a dirigé les travaux. Nous étions totalement en phase ».

Des auditions des ministres de la santé menées lors de la commission d’enquête, Mme Bourguignon a tiré une leçon. Celle de « ne pas trop faire confiance à son administration », erreur commise, juge-t-elle, par Agnès Buzyn.

Elle a aussi découvert les effets d’un « manque de portage politique ». Le plan pour les « aidants » annoncé en grande pompe par le gouvernement en octobre 2019 est resté lettre morte. Sa mesure-phare : le congé indemnisé de trois mois pour les salariés aidants n’existe toujours pas. « J’ai obtenu l’assurance que le décret sera signé en septembre. Le dispositif sera créé en octobre comme prévu par la loi », prétend-elle. Elle s’empresse d’ajouter : « Je vais suivre le dossier, j’aime autant vous dire ! »