L’hôpital

Reporterre - Plus de béton et moins de lits : en Île-de-France, un nouvel hôpital met en colère les soignants

Novembre 2020, par Info santé sécu social

Trois centres hospitaliers fermés, près de 500 lits et 900 emplois en moins. C’est ce qui attend le nord de l’Essonne, en Île-de-France. À la place, un hôpital « innovant » devrait voir le jour sur le plateau de Saclay. Soignants, chercheurs, militants et habitants s’attendent au pire. Le BTP est enchanté, les habitants et les écolos, beaucoup moins.

À l’hôpital d’Orsay, on nage en plein dans la seconde vague. « Il manque des dizaines d’agents ! » déplore Nathalie Le Méné, aide-soignante et membre de la CGT. Infirmières, sages-femmes, médecins, aides-soignantes, administratifs… Sur les trois hôpitaux franciliens d’Orsay, Juvisy-sur-Orge et Longjumeau, la CGT compte plus de deux cents personnels manquants. « Burn-out, arrêts maladie, agents non remplacés, des renforts en moins... la situation est pire qu’il y a six mois ! »

En Essonne, le « quoiqu’il en coûte » du Président semble bien loin. Depuis mars, vingt-cinq lits de médecine ont été supprimés à Juvisy, cinquante-cinq depuis 2019. « Ces lits sont essentiels pour prendre en charge les malades Covid passés en réa », explique Céline Letellier, infirmière à Orsay, à la CGT également. Comme partout en Île-de-France, l’Agence régionale de santé (ARS) demande que le Groupement hospitalier Nord-Essonne (GHNE) contribue à l’effort de guerre : il faut trouver deux mille lits sur la région. « C’est impossible ici, alors notre direction ferme l’ambulatoire et la chirurgie à Orsay pour gagner une vingtaine de lits Covid. On doute fortement que ces services soient réouverts après la crise », craint l’aide-soignante.

Il est prévu que trois centres hospitaliers ferment pour 2024, dont Longjumeau.
Les inquiétudes des soignantes sont fondées : il est prévu que les trois centres hospitaliers ferment pour 2024. Près de 500 lits et 900 emplois doivent être liquidés : c’est à ce jour la plus grosse suppression de lits prévue sur le territoire. Tout a commencé à Juvisy en 2009 : fermeture de la maternité puis du bloc opératoire. Longjumeau et Juvisy ont ensuite fusionné, et ont absorbé Orsay en 2018 pour former le GHNE. Cela a permis la réduction du personnel administratif, désormais centralisé à Longjumeau. « C’est devenu très compliqué de joindre nos cadres sup’ », dit Céline. À Orsay, les urgences pédiatriques viennent de fermer. Les services médecine et chirurgie ont perdu une infirmière de nuit chacun. En psychiatrie aussi un poste d’infirmier a été supprimé. Le personnel est en sous-effectif et des situations dégénèrent. « On a un collègue qui a été agressé et c’est un malade qui a donné l’alerte ! » désespère Nathalie.

Pourquoi maintenir ces fermetures en plein Covid ? La justification se trouve à quelques kilomètres, sur le plateau de Saclay : un hôpital high-tech devrait y voir le jour d’ici 2024. Laboratoires, universités et entreprises ont déjà été déplacés sur ce territoire de 7.700 hectares. Cet hôpital va devenir un élément de la French Silicon Valley, rêvée par nos dirigeants nationaux.

À Orsay, les urgences pédiatriques viennent de fermer.
« C’est une aberration écologique justifiée par des calculs économiques »
Ces aménagements se font au détriment de terres parmi les plus fertiles d’Europe. « C’est une aberration écologique justifiée par des calculs économiques », s’étrangle Alban Monier porte-parole d’Attac Nord-Essonne. « L’Établissement public d’aménagement Paris-Saclay affirme que la réhabilitation des hôpitaux coûterait plus de trois cents millions et que celui de Saclay se chiffrerait à environ deux cents millions. » Pourtant la facture grimpe, atteignant 215 millions d’euros et même 232 aujourd’hui selon les chiffres communiqués à la CGT par le GHNE. « Ils ont donné des chiffres bas pour justifier le projet. On en sera où en 2024 ? » interroge-t-il.

À quoi bon bétonner 3,4 hectares de terres agricoles déjà cultivées et abandonner des bâtiments déjà existants ? « L’hôpital, comme le futur métro, c’est le début de la création d’une ville nouvelle. Ça va justifier la construction de logements sur 97 hectares essentiellement agricoles de cette zone du plateau ! » analyse Fabienne Mérola du collectif Urgence Saclay. Ce bout du plateau nommé Corbeville devrait bientôt accueillir le déménagement de la sous-préfecture, la construction d’un lycée international, d’une caserne de pompier… « On va faire passer des terres agricoles à terres urbanisables et le mètre carré explose, passant de trois euros au moment de l’expropriation des agriculteurs à 255 euros le m² ! De belles affaires pour le BTP », conclut l’activiste.

Des travaux sur le Plateau de Saclay.
Une grande partie de l’Essonne étant déjà en situation de désert médical
« Cet hôpital s’appuiera sur la richesse industrielle et universitaire du plateau de Saclay pour s’engager pleinement dans une démarche de soins d’excellence, de recherches », peut-on lire sur le site internet du futur GHNE. Ce discours a charmé les maires des villes alentour comme Longjumeau, Orsay, Massy ou Palaiseau qui, plutôt que de combattre les fermetures, les soutiennent activement. Ils affichent souvent leur enthousiasme dans la presse. Les futurs « soins d’excellence » ont beau être vantés, la suppression de 500 lits et de 900 emplois hospitaliers inquiète les soignantes. « Tout est orienté vers l’ambulatoire ou la télémédecine pour réduire le personnel et les coûts. Vous imaginez une crise du Covid en 2024 après les fermetures ? » interroge Céline de l’hôpital d’Orsay. Plutôt que de fermeture, la direction du GHNE préfère parler de « transfert d’activité ».

Gilles Rémignard et Laurence Gauthier, membres du Comité de défense des hôpitaux du Nord-Essonne dénoncent ce jargon : « Les structures changent de noms pour cacher les fermetures de lits. » Exemple de cette novlangue, « la mention "hôpital de jour" [comme on peut le voir sur la carte ci-dessus] sur Orsay et Longjumeau signifie "ambulatoire". Ça veut dire que les patients sortent dans la journée et qu’il n’y a pas de lits prévus pour une hospitalisation complète », s’inquiète M. Rémignard. « Ces "hôpitaux de jours" vont devenir des centres de tri. À Juvisy par exemple, il ne restera que huit lits, visant à accueillir les malades pour les diagnostiquer et les envoyer ailleurs. »

Tout a commencé à Juvisy en 2009, lorsqu’a été actée la fermeture de la maternité puis du bloc opératoire.
Une grande partie de l’Essonne étant déjà en situation de désert médical, ce projet alarme les pompiers du 91. « On compte 90.000 passages aux urgences dans les hostos actuels. Tous vont être reportés sur Saclay. C’est plus éloigné donc ça va augmenter nos délais d’intervention et on aura moins d’ambulances dispos », explique Yohan Martin, pompier aux Ulis et syndiqué à la CGT. À ce jour, aucun pompier supplémentaire n’est prévu dans le futur centre de secours du plateau. « Ils vont donc enlever des gars d’autres centres et réduire nos effectifs », soupire Jean-Christophe Cantot, sergent-chef à Dourdan, également à la CGT.

Plus de places de parking que de lits
Tout serait donc une affaire de réorganisation visant à une réduction des coûts ? « Oui, mais en favorisant le privé au passage ! » s’indigne Laurence Gauthier. « Prenez l’exemple des maternités : après Orsay et Juvisy, celle de Longjumeau va bientôt fermer. » L’hôpital Sud-Francilien de Corbeil-Essonnes est déjà surchargé, les femmes enceintes seront donc dirigées vers les hôpitaux privés d’Antony ou Massy du groupe privé Ramsay. « On transfère un maximum de compétences vers le privé pour faire des économies », conclut-elle.

La délégation du chantier de Saclay au géant du BTP Eiffage est aussi source d’incompréhension. « Eiffage est responsable du fiasco du Sud-francilien : un hôpital démesuré et inutilisable », rappelle Gilles Rémignard. « Des lits ne pouvaient pas passer dans des couloirs ! » Construit dans le cadre d’un fort controversé partenariat public-privé et loué par Eiffage au groupement hospitalier sud-francilien, l’entreprise dut renoncer a son droit de propriété en échange d’une compensation de 170 millions d’euros payée par l’établissement [1]. « Qu’est-ce qui garantit que ce sera mieux fait à Saclay ? » questionne le militant. « C’est incompréhensible qu’Eiffage ramasse la mise encore une fois. » Ultime cadeau au géant du BTP : le GHNE annonce 800 places de parking pour le futur hôpital. « Deux fois plus que le nombre de lits… Cela montre bien l’intérêt que le gouvernement porte à la santé... » Et aux terres fertiles du plateau.

Zac de Corbeville : le bétonnage du Plateau de Saclay, destructeurs de terres agricoles, très fertiles.
En 2024 à Orsay « il ne restera que la psychiatrie et la gériatrie », soupire Nathalie Le Méné. Que vont devenir les bâtiments vidés, placés en centre-ville ? Les rumeurs vont bon train parmi les soignants : ils pourraient être vendus à un promoteur immobilier. À Juvisy, c’est confirmé : l’hôpital public se transformera en hôpital gériatrique privé, géré par Korian. Enfin à Longjumeau, la situation paraît un peu plus reluisante. Une centaine de lits devront finalement être préservés. « Au lieu des quatre cents lits d’urgence, il ne restera que cent lits pour maladies chroniques. Le reste du bâtiment sera loué, on ne sait pas encore à qui » souffle l’aide-soignante. Qui conclut, combative :

Certaines décisions de fermetures de services ou suppressions de postes ont été retardées grâce aux mobilisations ! Il ne faut pas lâcher ! »