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Libération - Colère. « On travaille comme des brutes. On n’en peut plus » : la révolte d’étudiants en médecine parisiens

Janvier 2021, par Info santé sécu social

Par Elise Viniacourt — 5 janvier 2021

Depuis ce matin, la colère des étudiants en médecine de l’Université de Paris gronde sur Twitter avec le hashtag #MentalbreakUP. Dans leur viseur, l’organisation jugée chaotique de l’institution après la fusion des universités Diderot et Descartes.

Elle n’a pu commencer son épreuve de biochimie que 45 minutes après les autres. Nerveusement, Marie (1) raconte : « Pour la moitié des étudiants dans ma salle, les tablettes sur lesquelles on devait passer notre partiel ne fonctionnaient pas, Internet ne marchait pas. » Résultat : les épreuves de l’après-midi sont annulées, celle du lendemain aussi. « On a été prévenu la veille à 21 heures, franchement ! » s’indigne-t-elle.

Cette exaspération, les étudiants en médecine de l’Université de Paris la tweetent massivement depuis ce mardi matin. Sous leur signe de ralliement, le hashtag #MentalbreakUP (UP pour Université de Paris), plus d’un millier d’internautes relaient une vidéo montrant des couloirs bondés en pleine période de crise sanitaire et dénoncent le raté de leurs partiels. Mais, plus largement, beaucoup pointent du doigt des conditions de travail dégradées depuis cette année. Ethan, étudiants en deuxième année, se montre implacable : « Déjà avant, l’organisation avait des problèmes, mais depuis la fusion, ça a empiré. »

Shanghai first ?
La fusion, c’est celle, en 2019, des universités Paris-Descartes et Paris-Diderot. L’objectif : former l’actuelle Université de Paris, mastodonte de 63 000 étudiants, et rafler la 53e place dans le critiqué classement de Shanghai. Des ambitions prestigieuses aujourd’hui dénoncées : « C’est bien beau de vouloir avoir une grande image, mais si on ne prend pas soin de ses étudiants, à quoi ça sert ? » questionne Ethan.

L’étudiant de 19 ans dit avoir une charge de travail doublée par rapport aux années précédentes : « Au lieu de fusionner les cours des deux cursus de Diderot et Descartes, ils les ont additionnés. J’ai calculé, ça fait que je me retrouve avec plus de 4 000 pages de cours à apprendre. On sait que les études en médecine sont des études difficiles, on est tous passionnés et on veut tous réussir, mais là c’est juste impossible. »

Le vrai-faux retour des étudiants dans les universités

Léa, elle aussi en deuxième année, renchérit : « Deux de nos enseignements comptabilisent plus de quarante heures chacun. Des capsules de cours devaient durer quinze à vingt minutes, elles font parfois plus d’une heure. Tout ça mis bout à bout fait que l’on travaille comme des brutes. Mentalement, on n’en peut plus. »

Des situations « alarmantes »
Cet épuisement, Arabelle Dumoulin, vice-présidente en charge de la représentation étudiante à l’Association des carabins réunifiés parisiens (ACRP), l’association étudiante de la fac, dit l’avoir signalé à plusieurs reprises à la direction : « En décembre, on a reçu énormément de plaintes, dont certaines très alarmantes. […] On a fait un sondage auprès des étudiants de 4e année en leur demandant de noter leur état mental, 30% de la promo a mis 1/5. […] A chaque fois qu’on faisait des signalements, l’université répondait à côté. Ce qu’on demande maintenant, c’est plus de considération pour les étudiants, pas juste pour l’image de l’établissement. »

Pour ce faire, elle prépare actuellement un communiqué avec le syndicat national des étudiants en médecine, l’Anemf, afin d’engager un dialogue avec la faculté. Et Morgane Gode-Henric, la présidente, met en garde : « A l’Université de Paris, la fusion a été beaucoup trop rapide mais, actuellement, cette explosion de colère parisienne, on peut la voir dans n’importe quelle fac. C’est le résultat d’une accumulation, liée au manque de moyens de l’enseignement supérieur mais aussi au contexte. »

Avec une spécificité pour les étudiants en médecine : « Ils subissent également le stress des hôpitaux pendant leurs stages, en plus de celui de leurs études. » Si, avec leur rythme intense de travail, près de 27% d’entre eux affirmaient déjà avant la pandémie vivre ou avoir connu des troubles dépressifs, cette année, Morgane Gode-Henric redoute une explosion de ce chiffre.

« Non, les étudiants n’ont pas deux fois plus de cours »
Du côté de l’université, le doyen de la faculté de médecine, Philippe Ruszniewski, éclaire : « Ce qu’il s’est passé, c’est que sur 800 étudiants, une cinquantaine n’a pas pu composer ou alors partiellement du fait d’un bug informatique. […] Nous avons essayé avec les informaticiens de régler le problème jusqu’au soir sans succès. Donc à 20 heures, j’ai pris la décision d’annuler les épreuves d’aujourd’hui car je ne voulais pas les faire revenir une deuxième fois. »

Rassurant, il explique que l’université a finalement décidé d’organiser, pour les étudiants de deuxième année, tous les partiels à distance. « Ceux loupés mardi et lundi se tiendront en fin de semaine afin de laisser leurs vacances libres », précise-t-il. Quant à l’épreuve de biochimie loupée par une partie des élèves, celle-ci se tiendra à nouveau après ce temps de repos : « On laissera tous les élèves la repasser s’ils le souhaitent et on gardera la meilleure note. »

Quant aux reproches sur l’organisation globale de l’université depuis la fusion, le doyen les dément : « Non, les étudiants n’ont pas deux fois plus de cours ou de travail à cause de cela. Ce qu’il se passe, c’est qu’ils prennent plein pot l’épidémie. Ils sont face à un certain nombre de cours sur ordinateur et je comprends que ce soit pénible d’additionner ces capsules les unes derrière les autres, sans compter qu’ils ont tendance à tout prendre en note, mot pour mot, ce qui donne une quantité astronomique de papier. Mais on a fait très attention à ce que la somme des connaissances qu’on leur demande cette année ne soit pas supérieure à celle de l’année dernière. » Dans la soirée de mardi, les étudiants devaient recevoir un mail avec le diagnostic détaillé de la direction de l’université.

(1) Le prénom a été modifié.

Elise Viniacourt