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Le Quotidien du médecin - 70 % des internes dépassent toujours le temps de travail légal, les hôpitaux sous-estiment largement les dérives

Janvier 2022, par Info santé sécu social

C’était une promesse d’Olivier Véran en avril 2021 : réaliser une enquête nationale sur le temps de travail des internes, face à la fronde des jeunes excédés par des journées à rallonge, la violation des lois en vigueur et l’augmentation des suicides.

Lancée fin juillet auprès des internes (et des établissements de santé), la consultation en ligne*, pilotée par le ministère de la Santé et traitée par OpinionWay, a recueilli les témoignages de plus de 2 300 internes. Ces données – que dévoile « Le Quotidien » – révèlent le décalage flagrant entre la réalité des jeunes vécue sur le terrain (dépassements, dérives horaires) et le déclaratif souvent flatteur des hôpitaux quant au temps de travail des internes.

« Dépassements du nombre de demi-journées hebdomadaires, estimation du temps de travail hebdomadaire, respect des bornes horaires des services de garde, nombre de gardes effectuées… Autant d’éléments sur lesquels les retours de la réalité du travail au quotidien sont parfois diamétralement opposés entre internes et établissements », concède le ministère de la Santé dans une note envoyée aux fédérations de jeunes.

Décalage abyssal

Ainsi, s’agissant du volume horaire, 70 % des internes affirment toujours travailler en moyenne plus de 48 heures par semaine, soit au-delà de ce qu’impose la réglementation européenne. Pire, un interne sur deux exerce plus de 51 heures, selon l’enquête.

Autre constat : la quasi-intégralité des sondés dépasse systématiquement les huit demi-journées d’activité en stage qui incombent aux internes. C’est le cas pour 93 % des internes de spécialité médicale et même de 98 % dans les disciplines chirurgicales.

Las, cette dérive semble passer inaperçue du côté des hôpitaux eux-mêmes, où 252 contributions ont été colligées par le ministère. Car du côté des directions, autant dire que le temps de travail des internes est très largement sous-évalué  ! Quand on demande à ces établissements si les internes en chirurgie dépassent leurs huit demi-journées de stage en moyenne, les centres hospitaliers répondent par l’affirmative à seulement 29 %.

« Le dépassement des demi-journées hebdomadaires de stage par les internes est la principale problématique soulignée dans cette consultation, note le ministère. La divergence d’appréciation entre étudiants et établissements y est particulièrement importante ». Autre exemple de ce décalage abyssal : alors que les hôpitaux pensent que seulement 8 % de leurs internes en réanimation exercent plus de 11 demi-journées par semaine, ils sont en réalité sept fois plus à subir cet excès. Selon l’enquête, les CHU semblent cependant plus proches de la réalité de terrain que les centre hospitaliers.

Repos de sécurité : chirurgiens mal lotis

Alors que 34 % des internes – toutes spécialités confondues – affirment effectuer des demi-gardes au-delà de minuit, les établissements hospitaliers semblent cette fois-ci évaluer correctement la situation.

L’enquête semble montrer aussi quelques avancées. Le repos de sécurité, point noir récurrent dans ce type d’enquête, serait désormais mieux respecté (94% aux urgences ou en réanimation, 84 % dans les spécialités médicales), à l’exception notable des futurs chirurgiens qui sont près de la moitié à avoir déjà été privés de repos de sécurité.

Le respect de l’effectif minimum d’internes sur une ligne de garde (au moins six) affiche lui aussi des résultats plus encourageants, même si l’enquête montre des disparités par spécialité.

Une enquête, des limites

« Au-delà du coup moral et humain pour ceux qui vivent ces rythmes effrénés, c’est un enjeu de santé des soignants et de sécurité des patients », avait alerté l’Intersyndicale nationale des internes (Isni), cet été. Le syndicat regrettait toutefois la méthodologie du ministère, jugée « bâclée ». Une « mascarade » notamment car le décompte horaire proposé par Ségur sur le formulaire en ligne s’arrêtait à 51 heures par semaine, loin des 70 ou 80 heures hebdomadaires constatées dans certains services. « Cette enquête est une aberration sur le fond car la moyenne du temps de travail en stage est largement dépassée de 58 heures par semaine », rappelle l’Isni.

Contactée, Marina Dusein, porte-parole de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG) se dit « peu surprise des résultats car il y a un vrai décalage entre ce qu’il se passe sur le terrain et la vision des établissements ».

Plan d’action dans les tuyaux

Fort de ces résultats, le ministère de la Santé devrait en tout cas organiser une nouvelle concertation avec les représentants des internes. Ségur propose déjà des pistes d’amélioration dont le fait de « rendre obligatoire la mise à disposition des tableaux de services aux internes dans un délai défini ». De fait, la consultation a aussi montré que ces tableaux « ne sont pas toujours connus des internes, même si les établissements sont une majorité à dire qu’ils sont établis chaque mois ». Ainsi, seuls 19 % des internes en chirurgie et 25 % en psychiatrie estiment qu’un tableau est établi mensuellement par le chef du service…

Le ministère suggère également d’intégrer un volet sur le temps de travail dans les agréments de terrains de stage. « Le directeur général de l’agence régionale de santé aurait la possibilité de suspendre ou retirer l’agrément au terrain de stage ne garantissant pas des conditions de travail respectant la réglementation sur le temps de travail », avance le document. Autre proposition : permettre aux internes qui n’arrivent pas à poser leurs jours de congé – 38 % d’entre eux – d’être indemnisés, dans la limite de 5 jours.

Enfin, le gouvernement recycle l’une des mesures du Ségur signé à l’été 2020 : frapper au portefeuille les établissements et services maltraitants. Des sanctions financières prévues mais qui exigent des textes réglementaires attendus « avant l’été 2022