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JIM - Pénuries d’infirmières dans les pays riches ; catastrophe dans les pays pauvres

Janvier 2023, par Info santé sécu social

Paris, le mercredi 25 janvier 2023

Le Conseil international des infirmières a fait part de sa grande inquiétude vis-à-vis des « recrutements massifs » de personnels soignants dans les pays pauvres. Des pratiques qui pourraient fortement fragiliser leurs systèmes de santé.

Les pays riches doivent cesser de recruter des infirmières dans les pays défavorisés : c’est ce qu’a affirmé le Conseil international des infirmières (CII) dans un communiqué publié lundi.

Le CII indique que sept ou huit pays riches, dont la Grande-Bretagne, les États-Unis et le Canada, sont responsables de 80 % des migrations internationales d’infirmières. Ces recrutements sont réalisés pour combler leurs propres pénuries de personnels, mais aggravent la situation des pays d’origine qui font souvent partie des plus pauvres de la planète, dénonce le Conseil.

1140 euros par infirmière ghanéenne recrutée
Howard Catton, directeur général du CII, indique être « très préoccupé par certains exemples », comme il l’a énoncé lors d’une conférence de presse organisée lundi par l’association des correspondants de l’ONU, à Genève. Il explique que la Grande-Bretagne aurait proposé au Ghana de payer 1000 livres (soit environ 1140 euros) par infirmière recrutée. Une somme qui ne correspond ni à « la véritable valeur des coûts de formation de cette infirmière » ni à « la perte pour le système de santé ghanéen », se désole le directeur du CII.

Outre la seule question financière, ces recrutements massifs créent un déséquilibre dangereux pour les systèmes de santé des pays d’origine. « Cela enlève des infirmières d’une base très faible, où l’accès aux soins est limité », détaille Howard Catton. La Grande-Bretagne a par exemple signé un accord avec le Népal pour le recrutement d’infirmières, alors que ce dernier ne dispose que de 20 infirmières pour 100 000 habitants, contre 80 pour 100 000 pour le pays européen.

« C’est une véritable fuite des cerveaux »
Les recrutements se concentrent surtout sur les infirmières les plus chevronnées, ce qui crée un « grave déficit d’expertise dans les pays qui ne peuvent pas se permettre de perdre leurs infirmières les plus expérimentées », a commenté Pamela Cipriano, présidente du CII. « C’est une véritable fuite des cerveaux », a-t-elle ajouté, faisant part de sa « grande inquiétude » vis-à-vis de ce phénomène.

En janvier 2022, le New York Times faisait déjà état de ces recrutements internationaux qui mettent à mal les systèmes de santé de certains pays. Officiellement, les pays recruteurs mettent en avant un surplus de personnel dans certains États africains ou asiatiques, comme en Zambie, où plusieurs milliers de jeunes infirmières diplômées sont au chômage. Mais, comme l’explique Lillian Mwape, directrice des soins infirmiers dans un hôpital zambien : « ce sont les infirmières les plus qualifiées que nous perdons et nous ne pouvons pas les remplacer ».

Le COVID-19 a accéléré les migrations de soignants

Si le phénomène n’est donc pas nouveau, il a pris une autre dimension depuis la pandémie de COVID-19. Certains pays, comme le Canada, ont décidé d’alléger les procédures et les exigences pour obtenir un visa : l’État nord-américain a lancé, en 2020, un « visa de santé et de soins » avec des frais réduits et un traitement accéléré des demandes. Le Japon et l’Allemagne ont également établi des conditions avantageuses pour les médecins ou praticiens étrangers souhaitant s’installer sur leur territoire.

Enfin, Howard Catton a dénoncé les pratiques malhonnêtes pratiquées dans certains des États les plus pauvres. « Les agences de recrutement se présentent dans le pays et négocient directement avec les infirmières en leur offrant des conditions très avantageuses ». Depuis 2010, l’OMS recommande pourtant fortement la signature d’accords bilatéraux entre pays recruteurs et pays d’origine des soignants pour ne pas créer un déséquilibre trop important pour ces derniers. Les États de destination sont ainsi censés soutenir des initiatives en termes de santé et mettre en place des formations pour faciliter le retour des praticiens dans leur pays d’origine. Des accords qui sont donc rarement respectés, voire contournés par les recruteurs.

Au bout du compte, comme le souligne le directeur du CII, « les professionnelles recrutées n’ont pas l’intention de retourner dans leur pays. Au contraire : elles veulent s’installer à l’étranger et faire venir leurs familles ».

Pamela Cipriano a donc fait appel à « l’éthique » des pays recruteurs, leur demandant de devenir autosuffisants en infirmières pour faire cesser cette fuite des cerveaux. « La santé est un problème mondial », a-t-elle affirmé. « Nous ne voulons pas voir certains pays prospérer et d’autres souffrir ».

Raphaël Lichten