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Médiapart - Covid-19 : à Nantes, des élèves infirmiers récompensés par des lettres d’huissiers

Août 2020, par Info santé sécu social

31 JUILLET 2020 PAR ELSA SABADO (MEDIACITÉS NANTES)

Alors que les étudiants ont participé au combat contre le Covid-19, le CHU continue de leur réclamer les frais d’inscription qu’une partie d’entre eux avaient déjà refusé de payer à la rentrée dernière, les considérant illégaux.

Fin juin, le ton est monté entre Lucie, 20 ans, étudiante à l’Institut de formation en soins infirmiers (IFSI) du CHU de Nantes, et ses parents. Au cœur du conflit, la lettre des huissiers reçue le 25 juin à leur domicile, sommant la famille de régler 233,58 euros à l’hôpital. Soit 203 euros de frais d’inscription non payés, et 30,58 euros de frais d’huissier. Sous la pression des créanciers, la famille se fissure : d’un côté, les parents enjoignent l’étudiante de payer sa dette ; de l’autre, Lucie, l’estimant illégitime, campe sur sa position.

Comme elle, une dizaine d’étudiants ont reçu des lettres des huissiers le 16 mars, et une autre dizaine, le 25 juin. Si Lucie tient bon, d’autres étudiants n’auront pas cette possibilité : le CHU est même intervenu auprès de Pôle Emploi, afin qu’il retienne le montant de ces frais sur leurs indemnités chômage.

La pilule est d’autant plus difficile à avaler que les apprentis infirmiers nantais sortent d’une année compliquée : un tiers d’entre eux ont été mobilisés pendant la pandémie en tant qu’aides soignants. Et devaient, dans le même temps, poursuivre les travaux nécessaires à la validation de leur année, puis passer des partiels dans des conditions dégradées et « dans un climat très anxiogène », explique Charlotte Siohan, elle aussi étudiante à l’IFSI de Nantes, par ailleurs membre du bureau de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (FNESI).

« En tout, ce sont 200 à 300 personnes qui ont refusé de payer les frais complémentaires illégaux cette année », explique-t-elle. Le prix “légal” de l’inscription se compose en théorie de 170 euros, auxquels il faut ajouter 91 euros de Contribution de vie étudiante et de campus. À Nantes, en outre, plusieurs autres lignes font grimper la facture : 63 euros pour la location de cinq tenues de stage, 140 euros de “frais pédagogiques”, normalement pris en charge par l’employeur, ainsi que, pour les premières années, 40,60 euros de frais administratifs. Au total, « pour moi qui suis en deuxième année, on arrive à 203 euros de frais complémentaires, une sacrée somme », détaille Charlotte. D’autant qu’elle les considère comme « illégaux ».

Sollicité, le CHU explique que « cette participation financière permet de couvrir une partie des frais de fonctionnement des instituts (…) : gestion de copies, documents liés à la formation, gestion des dossiers scolaires et de certification, matériel destiné aux pratiques simulées ». L’hôpital défend la pratique de ces frais supplémentaires, indiquant qu’elle « est commune à de très nombreux instituts » et qu’ils sont « validés avec le conseil régional à l’occasion du débat budgétaire ».
Cela les empêcherait-il d’être illégaux ? Chaque année, les frais d’inscription des universités sont fixés par arrêté ministériel. « Si les établissements d’enseignement supérieur peuvent percevoir, en sus des droits d’inscription en vue de l’obtention d’un diplôme national, des rémunérations pour service rendu, cette faculté ne leur est offerte qu’à la condition que les prestations correspondantes soient facultatives et clairement identifiées », indiquait une décision du Conseil d’État dès 1993. En 2012, une circulaire indiquait également que « la perception de telles redevances n’est possible qu’à condition que celles-ci soient facultatives, clairement identifiées et perçues en échange de prestations effectivement rendues aux usagers, et que leur non-paiement ne puisse écarter l’étudiant du cursus qu’il souhaite poursuivre ».

Ainsi, chaque année depuis plus de dix ans, les syndicats étudiants épinglent les établissements qui pratiquent ces « frais complémentaires illégaux », remportant toujours gain de cause devant la justice.

Le CHU de Nantes semble pourtant être passé à côté du sujet. À tel point qu’il a mentionné ces frais complémentaires sur les fiches d’inscription à Parcoursup, le système par lequel passent les lycéens pour s’inscrire dans l’enseignement supérieur depuis l’année dernière. Ainsi, la FNESI a pu recenser les établissements hors la loi sur tout le territoire, et la leur rappeler à partir de la rentrée 2019. « Peu à peu, tous les IFSI ont remboursé les étudiants. Seul celui de Nantes continue à s’obstiner », explique Vincent Opitz, attaché de presse de la FNESI.

Ainsi, l’année scolaire 2019-2020 a été scandée par les rounds du bras de fer opposant la direction de l’IFSI et du CHU aux syndicalistes étudiants. Après des discussions infructueuses pendant l’été 2019, la FNESI a attaqué leur légalité devant le tribunal administratif. En audience le 11 septembre, le caractère urgent de leur requête n’a pas été retenu, et le jugement sur le fond a été renvoyé dans les deux années à venir.

S’agitant dans les coulisses ministérielles, la FNESI a obtenu par ailleurs la publication d’une note interministérielle rappelant à nouveau l’interdiction des frais complémentaires, puis d’un arrêté ministériel, le 23 janvier. Malgré cela, le CHU argue de l’absence de rétroactivité du texte, et ne démord pas de sa position. « Dans l’attente de ce jugement [du tribunal administratif – ndlr], la facturation au titre de la rentrée 2019 (sur la base de la décision de fin 2018), dont la légalité n’a à ce jour pas été remise en cause, a été maintenue », indique-t-il à Mediacités Nantes.

Le dialogue avec leur établissement étant rompu, les étudiants étaient allés manifester sous les fenêtres du financeur de leur formation, le conseil régional, en septembre dernier, afin qu’il intervienne. « La Région finance les formations. Ensuite, les institutions qui en bénéficient ont la latitude pour émettre des frais de scolarité s’ils le jugent nécessaire », plaide Hubert Jamault, le directeur de cabinet de la présidente de la Région Pays-de-la-Loire Christelle Morançais. Si elle s’estime extérieure au litige qui oppose les étudiants au CHU, « la Région a voté en décembre des crédits de quatre millions d’euros qui permettront de rembourser aux élèves les frais kilométriques de leurs stages, et de renforcer les fonds des instituts de formation afin de couvrir les frais que le CHU a imputés l’année passée », poursuit le directeur de cabinet, qui nous incite à contacter la maire de Nantes, présidente du conseil de surveillance de l’hôpital.

Dont acte. Par le biais de son service de communication, Johanna Rolland explique à Mediacités qu’elle n’a pas à connaître de ces sujets, son rôle consistant à « être consultée sur les grandes orientations stratégiques du CHU, d’approuver ses comptes, et son intégration dans l’offre de soins du territoire ». Elle nous renvoie donc vers la Région, qui valide le budget des formations sanitaires et sociales.

Tania, étudiante en troisième année, résume ainsi le sentiment de ses camarades devant les dérobades des institutions : « Vous nous appelez pour qu’on vienne aider et c’est avec des lettres d’huissiers que vous nous remerciez ? On est là quand vous avez besoin de nous. Visiblement, pas l’inverse. »


Les réponses du CHU de Nantes aux questions de Mediacités :

« Les Instituts de formation paramédicaux comme les Instituts de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) facturent des frais de service aux étudiants à l’entrée en formation. Cette pratique est commune à de très nombreux instituts sur le territoire avec des tarifs similaires. Ces frais sont établis conformément à la réglementation, publiés et connus des étudiants lors de leur inscription. Ils font l’objet d’échanges et d’une validation avec le Conseil Régional à l’occasion du débat budgétaire. Cette participation financière permet de couvrir une partie des frais de fonctionnement des Instituts et notamment de soutenir la mise en œuvre des moyens mis au service des étudiants (gestion de copies, documents liés à la formation, gestion des dossiers scolaires et de certification, matériel destiné aux pratiques simulées…).

Dans ce cadre et dans un contexte d’universitarisation des IFSI, la Fédération Nationale des Etudiants en Soins Infirmiers (FNSEI) a remis en cause la facturation de ces frais pour l’année 2019. Elle a déposé une procédure en référé auprès du Tribunal Administratif de Nantes, afin d’obtenir la suspension des décisions tarifaires. Le Tribunal Administratif de Nantes s’est prononcé par ordonnance du 23 septembre 2019 et a rejeté les conclusions de la FNESI quant à la caractérisation de l’urgence du référé. La décision est en cours de jugement sur le fond. Dans l’attente de ce jugement, la facturation au titre de la rentrée 2019 (sur la base de la décision de fin 2018), dont la légalité n’a à ce jour pas été remise en cause, a été maintenue.

Parallèlement à cette situation, une instruction interministérielle du 30 octobre 2019 relative au régime juridique applicable en matière de droits d’inscription, d’indemnisation de stage et de remboursement de frais de transport pour les étudiants en soins infirmiers ainsi qu’un arrêté du 23 janvier 2020, ont posé le principe suivant lequel « le règlement d’autres dépenses ne peut être exigé des étudiants dès lors qu’elles relèvent de prestations facultatives ». L’IFSI du département des instituts de formation du CHU de Nantes a pris acte de cette nouvelle réglementation. Aucun frais de cette nature ne sera facturé aux étudiants en soins infirmiers au titre de la rentrée 2020 et à l’avenir. »