Maternités et Hopitaux publics

Le Monde.fr : Après la mort d’Ilyes, 3 ans, le procès de la routine hospitalière

Octobre 2016, par infosecusanté

Après la mort d’Ilyes, 3 ans, le procès de la routine hospitalière

LE MONDE

05.10.2016
Par Pascale Robert-Diard

La soirée était calme, ce 24 décembre 2008, au service de pédiatrie de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, à Paris. Sur les vingt-trois lits, onze seulement étaient occupés. Ilyes, 3 ans, était installé dans la chambre 17. Il était arrivé avec ses parents dans l’après-midi, pour une angine. Ses amygdales infectées l’empêchaient de boire et de manger, le médecin des urgences avait préféré l’hospitaliser pour le réhydrater. La perfusion produisait déjà son effet, Imad et Sayah voyaient l’état de leur fils s’améliorer.

Vers 19 heures, alerté par la sonnerie, Imad est sorti dans le couloir pour prévenir que la perfusion touchait à sa fin. L’infirmière qui s’était occupée de lui était en train de poser un cathéter sur un autre petit patient, une de ses collègues l’a remplacée. Elle est allée dans l’office, a pris machinalement dans le placard le flacon de 250 ml qui s’y trouvait et a remis la perfusion en route avec le même débit rapide.

La suite est racontée à la barre du tribunal correctionnel de Paris par Imad et Sayah. Ilyes qui s’agite dans son lit, se met à vomir, devient tout jaune, son corps qui semble soudain « lourd et tout mou », l’écran qui signale l’emballement de son rythme cardiaque, la panique qui les gagne, leurs cris pour appeler au secours, les infirmières qui tardent à venir, les médecins qui arrivent en renfort et tentent de ventiler l’enfant sur son lit avant de l’emporter en réanimation. Et puis l’annonce, à 20 h 45 : le cœur d’Ilyes a brutalement cessé de battre.

Ce n’est qu’après sa mort que, dans la chambre 17, on découvre que le flacon qui a servi à la perfusion est du chlorure de magnésium, en lieu et place du B46, du chlorure de sodium. Même contenance, même transparence du liquide, mêmes lettres noires sur fond blanc. Mais l’étiquette du B46 est blanche, celle du chlorure de magnésium est bleue. « Mon fils avait une simple angine. On l’a tué. A cause d’une bêtise humaine ! », dit la mère.

Au banc des prévenus, une femme ploie sous leurs mots, le visage dissimulé derrière le rideau de ses cheveux lisses. L’infirmière qui a posé la perfusion comparaît aux côtés d’une cadre du service, du responsable de la pharmacie de l’hôpital et d’une représentante de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), tous renvoyés pour homicide involontaire.

« Le décès était inévitable »

Elle avait alors 35 ans et déjà une longue expérience en pédiatrie, elle était appréciée et très bien notée. « Ce flacon de B46, je le posais depuis six ans, explique-t-elle. Il était toujours rangé au même endroit dans la réserve. Ce n’est pas pour me dédouaner que je dis ça, mais le chlorure de magnésium, je ne savais même pas que ça existait. On ne l’utilise jamais dans le service.

– Mais la première des choses, c’est de vérifier ce que vous perfusez, observe la présidente.

– Oui, mais le B46, c’est le seul flacon comme ça dans le service. J’aurais dû voir que l’étiquette était différente. Mais avec l’habitude, on ne regarde plus trop », souffle l’infirmière.

Comment pourraient-ils admettre cela, les parents d’Ilyes ? Leur colère est là, qui menace à chaque instant d’exploser. « On est en France, pas dans un pays sous-développé ! », crie la mère, qui veut croire que son fils aurait pu être sauvé. Accrochés à leurs souvenirs que la douleur a déformés, les parents affirment que le personnel soignant a mis trop de temps à réagir, alors que les expertises ont conclu que leur intervention a été immédiate. « Un expert peut expertiser, il n’a pas vu ce que j’ai vu et ce que ma femme a vu », dit le père. La présidente intervient d’une voix douce : « Quels que soient les soins prodigués, la concentration de magnésium était telle que le décès était inévitable. » La mère d’Ilyes pousse un long gémissement.

Ce produit, a confirmé l’enquête, n’aurait jamais dû se trouver là. Reprenant une à une les étapes du parcours de ce flacon, la procureure Alexandra Savie a dressé, mardi 4 octobre, le terrible constat d’une série de négligences fautives entre « misère du service public » et « pratique routinière ». Un carton comprenant douze de ces flacons part par erreur de la pharmacie centrale. Son contenu n’est pas contrôlé à son arrivée en pédiatrie, où il est rangé dans la réserve, et il n’est pas davantage vérifié lorsque, lors du ravitaillement des produits, l’un des flacons de chlorure de magnésium vient remplacer celui de B46, sur l’étagère du placard de l’unité E.

Enfin, le « dernier rempart » qu’aurait dû être la vigilance de l’infirmière, n’a pas fonctionné. La procureure a requis contre elle et contre sa supérieure immédiate une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis, et une amende de 100 000 euros contre l’AP-HP, en qualité de personne morale. « Aucune peine ne peut avoir de sens dans un dossier aussi douloureux », a-t-elle conclu.

Pascale Robert-Diard
Journaliste au Monde