Maternités et Hopitaux publics

L’infirmier.com - Les urgences, comme si vous y étiez...

Octobre 2016, par Info santé sécu social

Je préviens, c’est le premier épisode et déjà du sang, des larmes, de l’action. Tout comme à la télé. Les séries télé c’est bien, la réalité c’est mieux. Pour y voir plus clair, je suis aux urgences de l’hôpital. Quel hôpital ? Le vôtre. C’est à dire le nôtre.

Il suffit d’une heure ou deux pour comprendre le cauchemar que vivent les patients aux urgences.

Je suis à l’hôpital, aux urgences, pas pour moi, rassurez-vous. Pas encore. Ici des jeunes gens, souriants et gentils, s’occupent de grandes détresses. La majorité des personnes qui sont sur les brancards sont des personnes âgées. C’est ainsi dans tous les hôpitaux. Il suffit d’une heure ou deux pour comprendre le cauchemar que vivent ces patients, malgré la bonne volonté des équipes. Les questions posées, 10, 15, 20 fois ; la même question par des personnes différentes.

Devant moi, dans son parking mal isolé par un rideau, une vieille dame qui tente de répondre pendant que les infirmières s’en vont à un autre parking où gémit une femme abandonnée. Cinq minutes passent. Une infirmière revient dans le parking de la vieille dame qui est toujours en train de répondre et ne s’est pas rendu compte qu’elle répondait à des absents.

L’infirmière a un joli accent de l’Est ou du Sud. Elle ne comprend pas ce que dit la vieille dame. À côté, une autre femme complètement malheureuse et terrorisée pleure et se lamente. Une interne adorable vient s’enquérir d’elle. La vieille dame entend les questions et croit qu’on s’adresse à elle. Elle tente de répondre, seule dans son parking, personne ne l’écoute puisqu’on ne s’adresse pas à elle.

La jeune interne n’obtient aucune réponse sensée de la femme malheureuse et terrorisée ; elle repart. Bilan : la femme malheureuse parle dans le vide de son fils qui vit chez un docteur, la vieille dame continue de répondre. Personne n’est là. Une psychiatre arrive enfin. La femme malheureuse est à nouveau questionnée ; les mêmes questions déjà posées par d’autres intervenants, vingt fois. C’est la nef des fous. Personne n’écoute personne.

“Il suffit d’une heure ou deux pour comprendre le cauchemar que vivent [les] patients...

“Alors Monsieur M. Vous êtes encore à 2,7 grammes après 11 heures de repos. Vous vous souvenez que la rame de métro a failli vous percuter ?” Juste à côté de moi il y a un homme auquel on annoncé il y a 90 minutes qu’il sortait dans 30 minutes. Il est prêt, sac au pied de son brancard. Un médecin, en tout cas quelqu’un qui a de l’autorité, est arrivé et lui a dit “alors Monsieur XY, on va vous garder quatre jours jusqu’à l’opération”. Et est repartie.

Cinq minutes plus tard, Monsieur XY, vêtu de pied en cap, s’est levé, a saisi son sac et s’est dirigé vers la sortie. Il a été stoppé net dans sa progression par une diligente infirmière : “mais Monsieur XY, il faut rester ici, on va venir vous chercher”. Je crois que c’est à ce moment là que l’infirmière a enfin réalisé, en écoutant Monsieur XY, qu’il ne comprend pas notre belle langue. Elle lui a tout bien expliqué en anglais. Il n’a pas moufté et s’est assis sur le brancard bien sagement. Il a ouvert son sac, a farfouillé et sorti son téléphone. Il a appelé sa femme “hola, todo bien, no te preocupes, si, si, estoy bien”. Monsieur XY est hispanophone, il ne parle pas l’anglais.

“A l’hôpital, il n’existe pas de services d’urgences spécialisés pour les personnes âgées.

La vieille dame est arrivée aux service des urgences à 01:30. Premier médicament administré à 18:00. Moi aussi j’ai fait le calcul, cela fait 14 heures plus tard. Je vous épargne les minutes. Vers 16:00 la vieille dame a arraché la perfusion de sa main. Le sang gicle. Une traînée sur le mur, les deux infirmières sont éclaboussées et le lit brancard aussi. La vieille dame a de puissantes hallucinations depuis le matin mais là elle est absolument terrorisée par ce qu’elle imagine. Elle hurle de terreur. Les infirmières l’aident a se remettre dans le lit brancard. Brusquement la vieille dame saute de son lit en hurlant. Elle tombe. Elle a mal, elle a peur. Il y a comme un gros œuf de poule tout noir qui a poussé sur sa main droite. Là où se trouvait la perfusion.

Une infirmière se dispose à lui remettre une perfusion. A la main.

Q : Mais pourquoi lui mettre une perfusion ? Qu’y a-t-il dedans ? Elle boit au verre, normalement, toute seule. Ça ne peut pas se boire ce que vous mettez dans la perfusion ?

R : On va voir.

L’infirmière disparaît.

La vieille dame a 95 ans. A chaque heure son état s’aggrave. Il est 17:20. Elle n’a toujours pas eu de médicament, de calmant, de somnifère, rien. Rien depuis son arrivée aux urgences de l’hôpital. Un médecin a très vite dit “c’est une urgence vitale !” Il a bien insisté. Elle a vu des médecins, ils ont posé des questions, pris un air entendu. Depuis son arrivée, on ne lui a rien administré.

A 18:00 les infirmières lui donnent ses médicaments. L’un d’entre eux a été discuté et autorisé vers 15:00 par son neurologue.

Q : Mais pourquoi ne le lui avez-vous pas donné ?

R : On attendait la validation par le chef. C’est le week-end.

“Ils s’imaginent professeurs, chercheurs peut-être, mais certainement pas enfermés dans un corps qui n’en peut plus de tenir.’’

Imaginez que vous avez 95 ans. Au moment où l’on demande cet effort à l’hôpital, on se rend compte que l’on vient de commettre une erreur de jugement. Comment ces jeunes gens pressés d’obtenir leur diplôme, d’impressionner leurs chefs par des feuilles de soins complètes et bien tenues, pressés de se retrouver entre eux pour échapper à tout ce malheur, toutes ces douleurs, tous ces cris, comment pourraient-ils, tous ces jeunes internes et médecins de toute sorte, comment pourraient-ils imaginer une seule seconde qu’ils ont 95 ans ? Ils se voient à 45 ans, brillants chefs de service ou avec une belle clientèle de ville et un poste à l’hôpital, ils s’imaginent professeurs, chercheurs peut-être, mais certainement pas enfermés dans un corps qui n’en peut plus de tenir, certainement pas avec une envie d’abandonner la lutte, certainement pas avec une envie de mourir plus forte que tout, un désir de mort qui fait peur à tous ces beaux vivants.

Dans l’industrie automobile, on revêt les essayeurs de prototypes et maquettes de grosses combinaisons qui empêchent la fluidité des mouvements et les ralentissent. Il s’agit pour les constructeurs de mimer les conditions de conduite des personnes âgées. A l’hôpital on ne fait pas revêtir aux jeunes gens dévoués et bûcheurs qui vous soignent de combinaison spéciale pour qu’ils éprouvent ce qu’éprouvent leurs patients les plus âgés. A l’hôpital, il n’existe pas de services d’urgences spécialisés pour les personnes âgées. C’est bizarre, non ? Est-ce une preuve supplémentaire de notre peur de vieillir ?

Remerciements à Martin Hirsch, Anne Hidalgo, Bernard Jomier, Claude Evin, Marisol Touraine, Laurence Rossignol.

Remerciements à Xavier Bertrand, Philippe Bas, François Fillon, Hubert Falco, Jean-François Mattei, Roselyne Bachelot, Nora Berra.

Nom d’une pipe !!! J’allais oublier Kouchner ! Bernard Kouchner.

Une pensée pour Jérôme Guedj, Michèle Delaunay et Luc Broussy. Et félicitations à tous les rédacteurs et donneurs de leçons non suivies, tous les concepteurs et auteurs des centaines de rapports remis très sérieusement aux quelques trente ministres divers et variés qui se sont succédés en moins de 20 ans aux ministères de la Santé et aux Personnes âgées.

Que la Force soit avec vous. Et surtout, surtout, 5 fruits et légumes par jour !

Cet article a été publié le 16 octobre 2016 par "L’opinion" que nous remercions pour ce partage.

Jean-Bernard MAGESCAS
chroniqueur à l’Opinion, blogueur sur "Mille saveurs" où il entrepose ses articles "papier" et web.