Maternités et Hopitaux publics

Mediapart : L’hôpital de Toulouse, un univers impitoyable pour ses salariés

Novembre 2016, par infosecusanté

L’hôpital de Toulouse, un univers impitoyable pour ses salariés

C’est jour de mobilisation ce mardi pour les personnels infirmiers et non médicaux de l’hôpital public. Dans le CHU de la ville rose, quatre personnes se sont suicidées en juin ; début octobre, une autre a tenté de mettre fin à ses jours. Violences verbales, mépris des salariés reconnus handicapés par le travail, liste illégale du personnel en difficulté… la DRH ne recule devant rien.

Toulouse, envoyée spéciale.- La lumière d’octobre se réverbère sur les bâtiments rutilants de l’hôpital de Purpan, joyau du CHU de Toulouse, l’un des plus importants et réputés de France. Pourtant, personne, dans les couloirs, n’y a une mine tout à fait réjouie. Quelques jours plus tôt, une nouvelle tentative de suicide a eu lieu sur le site voisin, à Rangueil. C’est le dernier en date d’une série noire pour le CHU de Toulouse. En juin dernier, quatre agents se sont donné la mort en dix-huit jours. Deux d’entre eux étaient reconnus travailleurs handicapés.

Ce mardi, une journée de mobilisation nationale et de grève a été lancée par la Coordination nationale infirmière, rejointe par les fédérations FO, CGT et SUD des secteurs de la santé. A Toulouse, la ronde macabre a commencé le lundi 13 juin, lorsque J. E., infirmier en réanimation cardiaque sur le site de Rangueil,« est retrouvé enfermé, allongé et inanimé dans son local de travail de “mesure ambulatoire de pression artérielle”, une voie intraveineuse à l’avant-bras gauche ». Il venait de se tuer en s’injectant du curare et de l’anesthésiant. Reclassé sur un poste qu’il estime peu valorisant après un problème de santé, puis délocalisé dans une salle exiguë, sans climatisation ni salle d’attente suite à une restructuration, l’infirmier avait signalé ses problèmes à sa direction quelques mois avant de se suicider. Un nouveau déménagement de son service était prévu la semaine suivante. Le 20 juin, une élève de l’école d’infirmière se tue, suivie, le 21 juin, d’un autre infirmier, du site de Purpan cette fois-ci. Puis, le 1er juillet, une aide-soignante de l’hôpital des enfants se suicide. Sa fragilité psychologique était connue de la direction : elle avait déjà fait une tentative de suicide en 2012 et demandait, en vain, à changer de poste, arguant que le sien n’était pas adapté à ses restrictions médicales.

C’est à Purpan qu’on trouve le petit bureau de Julien Terrié, délégué de la CGT. Ce bureau est celui des pleurs, au propre comme au figuré. On vient y vider son sac, profitant des oreilles attentives du manipulateur radio. C’est pour cela qu’il accompagnait, avant qu’elle ne mette fin à ses jours, l’aide-soignante de l’hôpital des enfants dans son combat pour obtenir un poste aménagé et contre ce qu’elle considérait être du harcèlement de la part de sa hiérarchie et de ses collègues.
Pour Julien, un homme incarne le management qui a contribué aux suicides de ses collègues : Richard Barthes. « Cet homme a été placé là pour accompagner les bouleversements que supporte l’hôpital », rapporte le syndicaliste. Une de ses collègues se souvient : « Lorsqu’il [Richard Barthes] s’est présenté au personnel des écoles qu’il dirigeait alors, il nous a annoncé : “Moi, je suis ici parce que j’ai une mission. Et j’irai au bout de ma mission. J’avance comme un tank.” » En 2013, le manager organise une conférence à l’hôpital, intitulée : « Du lean manufacturing au lean hospital, ou comment déployer des pratiques industrielles à l’hôpital pour le bien-être de tous », interrompue par les militants syndicaux. En 2014, Richard Barthes est promu DRH. Son équipe s’est illustrée, au printemps dernier, par undérapage public qui a ému les agents. Alors qu’une aide-soignante témoignait de son stress au travail en CHSCT, une des collaboratrices du “tank” a soufflé : « Si elle ne sait pas gérer son stress, elle n’a qu’à aller faire caissière au Casino. »

Un document de prévention des risques produit par l’équipe de Richard Barthes révèle l’esprit qui anime la DRH (on peut le consulter ici, en pdf :Le document de prévention des risques (pdf, 227.6 kB)). On peut y lire notamment, qu’il faut « comparer le coût d’un accident du travail avec celui de l’installation d’une prise éthernet ».

C’est entre les mains de cette équipe de ressources humaines que passe chaque travailleur handicapé du CHU de Toulouse. Il en compte 752, dont 603 femmes. Ce chiffre est en augmentation : « On a repoussé l’âge de la retraite des infirmières et intensifié leur travail. Elles se fatiguent plus vite, et “cassent” plus fréquemment », relève Florence Lacoma, une autre syndicaliste. Après leur arrêt, souvent lié à un accident du travail, elles ont rendez-vous avec les « cadres chargées de maintien dans l’emploi », car l’institution est légalement tenue de proposer un poste adapté aux restrictions médicales de ses agents ou de les reclasser.

Celles-ci ne s’embarrassent visiblement pas de pincettes. « La cadre m’a proposé trois fois une formation en toilettage canin, alors que je lui ai dit dès la première fois que ça ne m’intéressait pas et que je cherchais un poste assise », témoigne une agente. Une personne membre de la direction générale, souhaitant garder l’anonymat, ajoute : « L’une de ces cadres déstabilise les agents, qui sortent en pleurant de son bureau. La dernière fois, elle a dit à un agent dont elle refusait d’aménager le poste : “Attendez de faire une dépression, et on en reparlera.” »

Outre la violence verbale qui semble caractériser la politique managériale du CHU, les refus d’aménagement de poste des travailleurs RQTH (Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) se multiplient. Leurs dossiers s’amoncellent sur le bureau de Julien Terrié, délégué au CHSCT : « La direction pousse les personnes abîmées à arrêter de travailler à l’hôpital. Elle les décourage par tous les moyens possibles », constate le cégétiste. Certains ont accepté de nous raconter leur histoire, mais requis l’anonymat, de crainte d’avoir« plus de problèmes qu’ils n’en ont déjà ».