PLFSS2024

Mediapart : Le gouvernement lorgne l’assurance-maladie et les poches des assurés

Octobre 2023, par infosecusanté

Mediapart : Le gouvernement lorgne l’assurance-maladie et les poches des assurés

En 2024, le gouvernement veut mettre l’assurance-maladie à contribution : elle devrait réaliser 3,5 milliards d’euros d’économies, selon le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Les assurés sont aussi visés : l’augmentation des franchises, à la charge des malades, sera débattue devant le Parlement.

Caroline Coq-Chodorge

28 septembre 2023

Il n’y a pas, en 2023, de « trou de la Sécu ». Selon son article 1, c’est le premier enseignement du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, qui a été présenté mardi 27 septembre en conseil des ministres.

Certes, les cinq branches de la « Sécu » (maladie, accident du travail, vieillesse, famille, autonomie) devraient accuser un déficit accru de 11,9 milliards d’euros. Mais quand on regarde l’ensemble des comptes des différentes administrations de la Sécurité sociale, celle-ci est bien bénéficiaire, grâce à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades).

Cette caisse, chargée de rembourser une très grande partie de la dette sociale qui lui est transférée, bénéficie actuellement de ressources, essentiellement la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale) et une partie de la CSG (contribution sociale généralisée), supérieures à ses dépenses.

Qu’importe, l’heure est de nouveau aux économies pour le gouvernement, puisqu’il veut retrouver un déficit public inférieur à 3 % d’ici 2027. Il vise surtout l’assurance-maladie : 3,5 milliards d’euros d’économies sont attendus en 2024. Il reprend ainsi les vieilles habitudes pré-Covid, qui ont rendu exsangues les hôpitaux.

Ce ne sont pas des économies nettes : l’objectif national de dépenses de l’assurance-maladie (Ondam) va augmenter de 3,2 %. Les soins de ville, ceux des personnes âgées en établissement et les établissements de santé devraient bénéficier d’un budget prévisionnel de 254,9 milliards d’euros en 2024, contre 247,6 milliards en 2023. Mais cette augmentation n’est pas suffisante pour financer la hausse naturelle des dépenses, en raison notamment du vieillissement de la population, qui en prime s’accélère.

Le retour de l’austérité à l’hôpital
Le Haut Conseil des finances publiques, qui a rendu son avis sur ce projet de loi, ne cache pas ses inquiétudes pour l’assurance-maladie : « Un tel montant d’économies a déjà été réalisé par le passé, mais paraît plus difficile à réaliser dans un contexte de tensions, notamment dans le secteur hospitalier. » En langage technocratique, ce Haut Conseil s’inquiète officiellement du retour de l’austérité à l’hôpital.

Car, à chaque fois, c’est l’hôpital qui trinque : ses dépenses sont bien plus faciles à « maîtriser » que celles des soins de ville. Elles ne devraient augmenter que de 3,2 %, contre 3,5 % pour les soins de ville. Ce taux paraît dérisoire pour compenser d’une part l’inflation qui pèse sur les dépenses des établissements, d’autre part les primes de pouvoir d’achat accordées aux fonctionnaires et la revalorisation du travail de nuit et de week-end à l’hôpital, évaluée à 1 milliard d’euros. Pour faire face à toutes ces dépenses, la Fédération hospitalière de France réclamait un budget rehaussé de 4,9 milliards d’euros supplémentaires pour les établissements.

En l’état du projet de loi, on en est loin : 3,1 milliards supplémentaires leur seraient accordés en 2024.

La « responsabilisation des assurés »
Au-delà de l’enveloppe globale, l’enjeu financier de ce prochain budget de la Sécurité sociale est dans le détail de ce plan d’économies de 3,5 milliards, encore très vague. Une certitude, cependant, les Françaises et les Français sont mis à contribution, directement de leur poche, à hauteur de 1,3 milliard d’euros : le gouvernement parle, pudiquement, de « transferts de dépenses » et de mesures de « responsabilisation des assurés ».

Il a déjà annoncé en juin que l’assurance-maladie se désengageait des soins dentaires : elle n’en prendra plus en charge que 60 %, au lieu de 70 %, ce qui représente 500 millions d’euros d’économies, à la charge des complémentaires santé à partir de 2024.

Problème : les complémentaires sont bien moins distributives que l’assurance-maladie. Si les plus modestes bénéficient d’aides de l’État à travers la complémentaire santé solidaire (CSS), la facture est très lourde pour les classes moyennes, bien moins aidées par les contrats d’entreprise que les salarié·es les plus riches, et surtout pour les retraité·es.

Les prévisions de dépenses d’assurance-maladie du gouvernement jusqu’en 2027 vont à rebours du vieillissement de la population, qui exige des investissements.

Pour faire face à cette hausse des dépenses, les complémentaires santé vont encore augmenter leurs cotisations. Or, elles se sont déjà envolées en 2023, selon une étude du courtier Meilleurtaux : un couple de retraités de 70 ans paierait, en moyenne, 300 euros par mois, en hausse de 5 %. Et les prix flambent encore plus dans les zones urbaines, où les professionnel·les de santé pratiquent le plus de dépassements d’honoraires.

Au cours de l’été, la première ministre, Élisabeth Borne, puis le ministre de la santé, Aurélien Rousseau, ont évoqué une autre manière de mettre la population à contribution : le gouvernement envisage de doubler le montant des franchises médicales.

Aujourd’hui, les Français·es paient de leur poche 50 centimes par boîte de médicament et 1 euro par consultation chez le médecin. Ces franchises devaient rester plafonnées à 50 euros par an et par patient·e. Et leur doublement, dans la limite des 50 euros par an, n’est pas inscrit dans le projet de loi. Mais l’idée est loin d’être abandonnée, a précisé sur France Info Aurélien Rousseau. Elle sera donc probablement introduite par amendement devant le Parlement.

Le gouvernement vise aussi les arrêts de travail : en 2022, les indemnités journalières ont atteint 16 milliards d’euros sous l’effet du Covid. Les contrôles de l’assurance-maladie sont d’ores et déjà renforcés contre les médecins qui prescrivent et les assuré·es en arrêt. Les plateformes de téléconsultation sont elles encadrées : les médecins ne pourront plus prescrire, à distance, des arrêts supérieurs à trois jours.

Lutte contre la fraude sociale
Les caisses de Sécurité sociale sont également chargées de conduire un ambitieux plan de lutte contre la fraude, avec des effectifs dédiés. Sont visés les assurés sociaux : le gouvernement espère que les caisses d’allocations familiales et de retraite parviendront à recouvrer 3 milliards d’euros de préjudices, et les caisses d’assurance-maladie 500 millions. Les entreprises sont elles aussi ciblées : 800 millions d’euros de redressement des cotisations et contributions sociales non perçues sont espérés en 2022, grâce à un « doublement des contrôles ».

Les professionnel·les de santé ne sont pas oublié·es : les contrôles seront aussi renforcés pour détecter leurs pratiques frauduleuses, sans objectif chiffré, sans doute pour ne pas froisser leurs représentant·es. Le potentiel est important : la Cour des comptes estimait en 2020 que les établissements et les professionnel·les de santé étaient à l’origine de 80 % des fraudes à l’assurance-maladie.

1,3 milliard d’euros d’économies supplémentaires sont attendus sur les dépenses de médicaments, à travers des mécanismes complexes de remises exigées des laboratoires.

Protections menstruelles et activité physique adaptée
De manière bien moins ambitieuse, ce budget répond aussi à l’autre mission de la Sécurité sociale, à savoir améliorer la santé des Français·es et les protéger contre les aléas de la vie. Il prévoit les rémunérations des professionnel·les de santé qui seront mobilisé·es pour la campagne de vaccination contre le papillomavirus des élèves de 5e.

Pour faciliter l’accès des femmes aux protections périodiques, les culottes et les coupes menstruelles devraient être remboursées en 2024 pour les femmes de moins de 26 ans et les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire. Les préservatifs seront gratuits en pharmacie pour les moins de 26 ans.

Autre mesure de prévention d’importance, longtemps attendue, cette fois en faveur des plus malades : ce PLFSS prévoit, pour la première fois, le remboursement par l’assurance-maladie de programmes d’activité physique adaptée (APA). Le gouvernement évoque plus précisément certaines pathologies : obésité, cancers, maladies chroniques, santé mentale.

Pour dégager du temps médical, les missions des pharmaciens sont encore étendues : ils pourront délivrer des médicaments sous prescription, contre la cystite et les angines, en s’appuyant sur des tests de diagnostic rapides.

Le gouvernement veut aussi tenir ses promesses sur la prise en charge des personnes âgées : il s’engage à créer en 2024 des places en services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), pour répondre à la demande de maintien à domicile, aussi longtemps que possible, de 1,4 million de personnes âgées.

Côté Ehpad, 6 000 postes devraient être créés en 2024, pour améliorer la prise en charge des résident·es. Seulement, la première ministre s’était engagée en juillet 2022 à créer 50 000 postes en Ehpad d’ici à la fin du quinquennat. Or seuls 1 000 nouveaux postes ont été financés en 2023. Là encore, le compte n’est pas bon.

Et les projections du gouvernement ne peuvent qu’inquiéter : il prévoit une contraction plus forte des dépenses d’assurance-maladie à partir de 2024 et jusqu’en 2027, à rebours du vieillissement de la population, qui exige, au contraire, des investissements.

Caroline Coq-Chodorge