PLFSS2024

Alternatives Economiques : Sécu, santé : le gouvernement maintient sa politique d’austérité

il y a 5 mois, par infosecusanté

Alternatives Economiques : Sécu, santé : le gouvernement maintient sa politique d’austérité

LE 04 OCTOBRE 2023

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 confirme l’orientation austéritaire des dépenses de santé, de quoi aggraver les difficultés que connaît son système.

Par Céline Mouzon

Les températures restent estivales, mais le calendrier parlementaire rappelle que l’automne est bien là. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 a été présenté fin septembre en Conseil des ministres.

Il sera discuté à partir de la mi-octobre à l’Assemblée nationale, pour une adoption avant le 30 novembre. Présentée par le gouvernement comme nécessaire pour « assurer la pérennité du modèle social », une rhétorique désormais incontournable, la mouture 2024 confirme les deux grands principes de la politique budgétaire macroniste depuis 2017, hors Covid : peu de nouvelles recettes d’une part, et des dépenses contrôlées strictement d’autre part.

Le budget de la Sécurité sociale s’élève à 640 milliards d’euros. Les deux gros postes sont les retraites (294 milliards d’euros) et la maladie (252 milliards d’euros).

Première remarque : le bilan financier de la Sécurité sociale au sens large (régime général des salariés, autres régimes de base obligatoires, régimes de retraite complémentaire, chômage, caisse d’amortissement de la dette sociale – Cades –, Fonds de réserve pour les retraites...) est, comme l’an dernier, excédentaire de 0,6 point de PIB (soit 15,8 milliards d’euros). Une performance permise par les excédents de la Cades.

Lorsqu’on parle couramment du déficit de la Sécu, on évoque en réalité le solde des régimes obligatoires de base et du fonds de solidarité vieillesse. Pour 2023, ce déficit est estimé à 8,8 milliards d’euros, en baisse par rapport aux années précédentes.

C’est normal : la Sécurité sociale est là pour amortir les crises, le déficit augmente en période de crise, et diminue lorsque l’activité redémarre. Cela étant, le déficit devrait se creuser de nouveau (11 milliards d’euros en 2024, 16 milliards en 2025), cette fois en raison de la hausse des pensions de retraite pour suivre l’inflation.

En pratique, la santé occupe la majeure partie du PLFSS. Alors que le système connaît une crise chronique, que prévoit le gouvernement ?

Alors que le système de santé connaît une crise chronique, que prévoit le gouvernement ?
Le premier élément de réponse réside dans le niveau des dépenses, un enjeu particulièrement crucial en période d’inflation forte. L’objectif national des dépenses d’Assurance maladie (Ondam) est fixé à 255 milliards d’euros pour 2024, soit 3,2 % d’augmentation par rapport à 2023. Ce pourcentage est calculé en valeur nominale : il ne tient pas compte de l’inflation. Or, les prévisions de hausse des prix pour 2024 se situent entre 2,4 % et 3,7 %, comme le synthétise l’avis du Haut conseil aux finances publiques.

Dans le pire scénario, donc, les dépenses d’Assurance maladie reculeraient en valeur absolue. De quoi rejouer la mauvaise scène de 2022-2023 où la revalorisation nominale des dépenses devrait être – si les premières estimations se confirment – un peu inférieure à l’inflation. En résumé, depuis deux ans, l’augmentation de l’Ondam est presque entièrement, voire totalement, mangée par l’inflation.

Autre problème : les parlementaires doivent se prononcer sur un budget 2024 calculé sur des estimations pour 2023. Les dernières données disponibles consolidées sont celles de 2022. Le pilotage est donc approximatif.

Dernière aberration enfin : l’essentiel des dépenses de santé concerne la rémunération des soignants, à la ville comme à l’hôpital. Pourtant, le lien entre le budget de la Sécu et les rémunérations n’est jamais au cœur des discussions. C’est pourtant la première question que devraient poser les parlementaires.

Que signifie un Ondam à 3,2 % pour les rémunérations ? Qu’il n’y aura pas de revalorisation supplémentaire à l’hôpital ? Quant aux médecins, le texte ne fait référence qu’au règlement arbitral qui prévoit une augmentation de 1,50 euro de la consultation (soit + 6 %). Mais les praticiens réclament davantage et des discussions doivent reprendre sous peu.

Comme l’enveloppe est peu fournie, il est à craindre que des arbitrages douloureux soient pris contre les patients, par exemple sur les franchises médicales, qui, on le verra plus loin, sont absentes du PLFSS.

L’hôpital toujours asphyxié
Examinons maintenant le cas de l’hôpital : le budget des hôpitaux doit augmenter de 3,2 % en 2024, c’est-à-dire de 3,1 milliards d’euros. Il passerait ainsi de 102,5 milliards d’euros en 2023 à 105,6 milliards d’euros.

Or de nombreuses mesures ont été annoncées pour l’attractivité des métiers, à la fois indiciaires (revalorisation du point d’indice, rehaussements dans les grilles) et indemnitaires (prime pour le pouvoir d’achat, garantie individuelle de pouvoir d’achat, revalorisation des frais de mission…) à hauteur de 1,7 milliard d’euros. Auxquels il convient d’ajouter les 1,1 milliard d’euros annoncés fin août pour la revalorisation des gardes de nuit et des astreintes. Soit au total 2,8 milliards d’euros.

Sur les 3,1 milliards d’augmentation prévue, restent donc seulement 300 millions d’euros pour faire face à l’inflation, aux innovations thérapeutiques et à l’augmentation des besoins (la population croît et vieillit). Le gouvernement prévoit de demander 500 millions d’euros d’économies à l’hôpital au nom de l’efficience. Soit dans le meilleur des cas, une marge de manœuvre totale de 800 millions d’euros en 2024.

On a moins soigné à l’hôpital en 2022 qu’en 2019, ce qui est très inquiétant
Les directeurs d’hôpitaux alertent sur un budget qui ne leur permettra pas de faire face à l’inflation, notamment aux coûts de l’énergie. Selon eux, il manque déjà 585 millions en 2023 pour faire face à l’inflation, et 700 millions d’euros pour couvrir les différentes mesures engagées pour les rémunérations (Ségur, augmentations indiciaires…).

Autrement dit, le gouvernement fait des annonces de revalorisation mais sans donner ensuite les moyens supplémentaires aux hôpitaux. Ceux-ci n’ont alors d’autre choix que de serrer les cordons de la bourse et d’emprunter.

Le déficit des CHU était déjà de 400 millions d’euros fin 2022. Ce montant « pourrait être multiplié par deux ou trois si aucune mesure de compensation n’était décidée par les pouvoirs publics », a indiqué la conférence des directeurs généraux des CHU, citée par le site spécialisé APM News.

« Les hôpitaux ont très peu de marges de manœuvre sur leurs coûts », confirme l’économiste Brigitte Dormont. 70 % de leurs dépenses correspondent aux rémunérations des soignants. Restent les achats et les fonctions support, c’est-à-dire la restauration et le ménage.

« Après plus de dix ans d’austérité budgétaire, cela n’a pas de sens de demander encore d’améliorer l’efficience sur ces postes », poursuit l’économiste.

Pour respecter l’enveloppe de l’Ondam hospitalier, trois solutions sont possibles : rationner les soins, augmenter la productivité des personnels ou faire de la « modération salariale » (ne pas augmenter les salaires). Ces deux dernières options ont été mises en œuvre au cours des années 2010.

Quant au rationnement, il se lit aujourd’hui dans les Comptes de la santé. Le volume de soins délivré à l’hôpital a diminué de 0,5 % entre 2022 et 2021. Et l’an dernier, il n’avait toujours pas retrouvé son niveau de 2019. On a moins soigné à l’hôpital en 2022 qu’en 2019, ce qui est très inquiétant.

Petit rayon de soleil, le gouvernement annonce une sortie partielle de la tarification à l’activité (T2A), système dominant actuellement qui prévoit un « prix » pour chaque acte médical réalisé, plutôt qu’une logique de financement global.

Ce système, très critiqué pour l’inflation de soins qu’il engendre parfois et la concurrence qu’il crée entre hôpitaux, va donc reculer pour certaines activités, comme les urgences ou les soins critiques. Et des dotations à la qualité et forfaitaires doivent être mises en place.

Au total, la part du financement à l’activité doit passer de 54 % à 49 % entre 2023 et 2026, détaille l’annexe 9 du PLFSS. « C’est marginal », tranche le médecin André Grimaldi, pourfendeur de l’hôpital-entreprise qui plaide par ailleurs pour cantonner la tarification à l’activité à des soins très normés et prévisibles comme les opérations de la cataracte.

Reste tout de même à voir si les établissements privés seront éligibles pareillement aux nouvelles tarifications, ce qui impliquerait de facto qu’ils réalisent des missions de santé publique. Cela contribuerait à brouiller encore la frontière entre public et privé à l’hôpital.

Plus globalement, cette légère réforme de la structure du financement des hôpitaux ne change pas le fond du problème. Car modifier la façon dont on découpe et attribue les parts ne change pas la taille du gâteau.

Le déficit de la Sécu diminue lorsque l’activité redémarre
Solde des régimes de base de la Sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse entre 2008 et 2027, en milliards d’euros

Source : Loi de finances de la Sécurité sociale et Projet de loi de finances de la Sécurité sociale
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Des économies mal venues
En plus des 500 millions demandés aux hôpitaux, le gouvernement prévoit des économies, à hauteur de trois milliards d’euros.

Sur ces trois milliards d’économies figurent 1,3 milliard d’euros de « transferts de dépenses et de responsabilisation des assurés ». Au premier rang desquels, la modification du ticket modérateur pour les soins dentaires.

A compter du 15 octobre, l’Assurance maladie ne remboursera plus que 60 % du tarif sur les soins dits conservateurs (les soins de base, par opposition aux prothèses et aux implants qui sont, eux, très mal remboursés) au lieu de 70 % actuellement. A charge ensuite pour les complémentaires santé de rembourser le reste. La mesure va creuser les inégalités dans l’accès aux soins dentaires et renchérir le coût des complémentaires.

Les arrêts de travail sont aussi dans le viseur du gouvernement. Il estime que les indemnités journalières maladie coûtent trop cher : elles sont passées de 11 milliards d’euros en 2010 à 16 milliards en 2022. C’est pourquoi il serre la vis.

En téléconsultation, un arrêt de travail ne pourra plus excéder trois jours, à moins d’être prescrit par le médecin traitant. L’année dernière, une mesure plus stricte, inscrite dans le précédent PLFSS, avait été rejetée par le Conseil constitutionnel. A voir si la nouvelle règle imaginée franchit cet obstacle.

Les contrôles des arrêts maladie seront par ailleurs renforcés, et il sera possible de suspendre automatiquement les indemnités journalières en cas de rapport du médecin contrôleur délégué par l’employeur qui jugerait l’arrêt injustifié1.

A noter que certaines mesures très controversées annoncées début septembre (doublement des franchises médicales – de 0,50 euro par boîte à un euro – et mise en place de forfaits de consultation chez le généraliste – d’un à deux euros – ), ne figurent pour l’instant pas dans le texte présenté. Mais le chemin législatif d’un projet de loi de finances est long et sinueux…

Plafonnées à 50 euros par patient et par an, ces mesures rapporteraient 700 à 800 millions d’euros à la Sécurité sociale si elles étaient mises en place. Les études montrent pourtant que cette mesure n’est efficace ni pour la santé publique, ni pour les finances de la Sécurité sociale et qu’il s’agit d’une mesure contre-productive.

Augmenter les recettes de la Sécurité sociale
Pour le reste, le texte contient quelques mesures qui vont dans le bon sens, à l’image de la vaccination contre le papillomavirus dès 11 ans ou la lutte contre la précarité menstruelle (remboursement des culottes et coupes menstruelles à 60 % pour les moins de 26 ans et à 100 % pour les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire).

Mais cela reste marginal par rapport à la philosophie générale du texte, qui consiste à contenir drastiquement les dépenses sans même chercher à trouver de nouvelles recettes autres que celles pénalisant les patients.

Plusieurs réformes pourraient pourtant facilement faire rentrer de l’argent dans les caisses de la Sécurité sociale. Par exemple, supprimer les exonérations de cotisations sociales sur les salaires supérieurs à 2,5 SMIC.

« Adoptées au nom de la compétitivité, les exonérations pour les salaires au-dessus de 2,5 SMIC n’ont produit ni gains d’emplois, ni de compétitivité », souligne l’économiste Brigitte Dormont en référence à un rapport du Conseil d’analyse économique confirmé par France Stratégie. Elles ont permis aux entreprises d’augmenter leurs profits et les salaires de leurs cadres déjà très bien payés. Revenir sur ces exonérations permettrait de faire rentrer deux milliards d’euros dans les caisses de la Sécu.

« Ce projet de loi de financement de la Sécurité sociale, bien plus qu’un exercice budgétaire imposé, est d’abord un rendez-vous démocratique », explique le gouvernement dans sa présentation du texte.

La réalité montre pourtant que c’est tout l’inverse. Non seulement la France manque de données permettant une discussion parlementaire digne de ce nom, mais les citoyens sont très peu consultés. Plusieurs collectifs ont lancé mi-septembre un tour de France pour la santé, afin de permettre à la population de s’exprimer. De quoi changer (un peu) le rapport de force ?

Céline Mouzon

1.Depuis 1978, l’employeur peut demander à un médecin de son choix une contre-visite médicale et suspendre les indemnités journalières complémentaires qu’il verse, si l’arrêt maladie est jugé injustifié. Depuis 2010, l’assurance maladie peut suivre l’avis de ce médecin contrôleur et suspendre elle aussi les indemnités journalières qu’elle verse, ou ordonner une visite de vérification. En pratique, la suspension par les caisses est rare. La nouvelle disposition constitue un pas supplémentaire de taille, dans le pouvoir donné à cette contre-visite médicale. Reste à voir comment l’automaticité sera mise en oeuvre et appliquée.