PLFSS2024

Le Monde.fr : Budget de la Sécurité sociale : le pouvoir exécutif entre recul et tâtonnements

il y a 5 mois, par infosecusanté

Le Monde.fr : Budget de la Sécurité sociale : le pouvoir exécutif entre recul et tâtonnements

Elisabeth Borne a activé l’article 49 alinéa 3, mercredi, sur le projet de loi de financement de la « Sécu », moins de vingt-quatre heures après le début des débats en séance. Une manière de couper court à la série de camouflets infligés au gouvernement.

Par Bertrand Bissuel et Camille Stromboni

Publié 26/10/2023

Le rituel est désormais bien rodé. Pour la quatorzième fois sous cette législature – la troisième depuis la rentrée parlementaire de septembre –, Elisabeth Borne a eu recours, mercredi 25 octobre, à l’article 49.3 de la Constitution, qui permet l’adoption d’un texte sans vote. Sans surprise, la première ministre s’est appuyée sur cette disposition pour faire passer la deuxième partie du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 consacrée aux recettes, alors que les débats en séance publique à l’Assemblée nationale avaient démarré la veille.

Ne pouvant compter que sur une majorité relative dans l’Hémicycle, la cheffe du gouvernement a expliqué qu’elle n’avait pas d’autre choix que d’appliquer cette procédure, face à l’obstruction des groupes d’opposition, qui risquait de priver « tout notre modèle social de ses ressources ». Dénoncée par les contradicteurs de Mme Borne, cette dramatisation des enjeux met en lumière les difficultés de l’exécutif à boucler le budget de la « Sécu » : sur plusieurs dossiers importants, le pouvoir en place tâtonne, fait un pas en arrière ou cherche à temporiser.

Illustration de cette fragilité, trois articles du PLFSS – sur les cinq ayant fait l’objet de discussions – ont été supprimés, mercredi, par une coalition mêlant les élus de gauche, de droite et d’extrême droite. Parmi les dispositions rejetées, il y a celle qui corrige, pour l’année 2023, l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie. Bien que le montant soit revu à la hausse, plusieurs élus d’opposition ont dénoncé l’insuffisance des moyens consentis : les établissements de santé « vont repartir en 2024 avec un déficit aggravé », a déclaré Pierre Dharréville, député communiste des Bouches-du-Rhône, en déplorant ce « mauvais signal ».

« Flou » sur les franchises médicales
Les oppositions ont également critiqué le « flou » qui règne, selon elles, sur certains chantiers controversés – en particulier celui des « franchises médicales ». « Nous avons une belle nébuleuse [à ce sujet] », a interpellé Yannick Neuder, député Les Républicains (LR) de l’Isère, en regrettant l’absence du ministre de la santé, Aurélien Rousseau, retenu au Sénat par l’examen d’une proposition de loi relative à l’accès aux soins.

Depuis des mois, le gouvernement tergiverse à propos de cette piste avancée par Bercy : elle consisterait à doubler les sommes restant à la charge des assurés quand ils achètent un médicament (actuellement de 50 centimes par boîte) ou lorsqu’ils consultent un médecin (1 euro). L’effort réclamé peut paraître modeste, d’autant qu’il est plafonné à 50 euros par patient et par an, mais la mesure, susceptible de dégager 800 millions d’euros d’après une source ministérielle, heurte les acteurs de la santé.

Dans l’Hémicycle, le ministre délégué aux comptes publics, Thomas Cazenave, a réaffirmé, mercredi, que cette hypothèse était « sur la table », sans pour autant s’avancer sur le sort qui lui serait réservé. « Nous avons toujours été clairs, a-t-il soutenu. Oui, nous sommes favorables à une évolution du dispositif qui n’a pas été revu depuis 2008, dont je rappelle, d’ailleurs, qu’aucun gouvernement ne l’avait supprimé. » Le doublement des franchises, qui relève d’un décret – et non pas de la loi –, pourra faire partie d’un « bouquet de mesures » visant à atteindre 1,3 milliard d’économies au titre de la « responsabilisation » des acteurs, a-t-il précisé. L’éventuel décret sur les franchises sera soumis à des « concertations et des consultations préalables », a-t-il ajouté, mais sans en dire davantage sur les formes qu’elles prendront.

Des « éclaircissements » ont aussi été réclamés sur un autre thème controversé : la caisse de retraites complémentaires du privé Agirc-Arrco, cogérée par les syndicats et le patronat. Mardi soir, M. Cazenave a annoncé qu’il écartait « à ce stade » l’idée d’un prélèvement unilatéral dans les ressources du régime, par le biais d’un amendement au PLFSS. Evoqué depuis plusieurs semaines par l’exécutif, ce projet avait braqué les partenaires sociaux et l’ensemble des forces d’opposition.

Motions de censure
Devant cette rare levée de boucliers, qui faisait planer le risque d’une motion de censure avec une probabilité élevée de la voir adoptée, le gouvernement a renoncé, au moins provisoirement, à la mise à contribution autoritaire de l’Agirc-Arrco, mais à une condition : les organisations de salariés et d’employeurs devront discuter rapidement pour s’entendre sur une enveloppe qui pourrait servir, par exemple, à cofinancer la revalorisation des petites pensions. Si elles ne s’engagent pas dans cette voie, l’Etat soutirera de l’argent au régime complémentaire. Le fait que cette menace reste pendante indigne Jérôme Guedj : le député socialiste de l’Essonne a sommé M. Cazenave de dire « avec la plus grandes des clartés » qu’il n’ira pas « ponctionner » l’Agirc-Arrco si les négociations entre partenaires sociaux s’avèrent infructueuses.

Sur un autre dossier sensible, la gauche s’est réjouie que le pouvoir en place ait accepté de « reculer », selon Eric Coquerel, élu La France insoumise (LFI) de Seine-Saint-Denis : il s’agit de l’article 39 du PLFSS, réformant l’indemnisation des victimes d’accidents du travail et des maladies professionnelles, qui a été retiré avant le début des travaux à l’Assemblée nationale, sous la pression des associations, des syndicats, et à la demande de tous les groupes.

Pour mettre fin à tous ces coups de boutoir, Elisabeth Borne a donc engagé la responsabilité de son gouvernement, mercredi, sur ce projet qui avait déjà été rejeté en commission. LFI a riposté peu après en déposant une motion de censure – appuyée par des élus communistes et écologistes. Des députés socialistes devraient s’y associer. De son côté, le groupe Rassemblement national fera de même. Il est peu probable qu’elles aboutissent, le groupe LR n’étant pas solidaire avec ces démarches.

Bertrand Bissuel et Camille Stromboni