PLFSS2024

Alternatives économiques : Hôpital : la tarification à l’activité va-t-elle vraiment être enterrée ?

il y a 5 mois, par infosecusanté

Alternatives économiques : Hôpital : la tarification à l’activité va-t-elle vraiment être enterrée ?

LE 18 OCTOBRE 2023

A l’hôpital, la tarification à l’activité est décriée depuis longtemps et Emmanuel Macron fait miroiter sa disparition. Mais les mesures annoncées dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale restent mineures.

Par Céline Mouzon

« On doit sortir de la T2A dès le prochain PLFSS [projet de loi de financement de la Sécurité sociale, ndlr.] pour aller vers un nouveau financement qu’on doit rebâtir en profondeur et dans la concertation », affirmait le 6 janvier dernier le président Emmanuel Macron dans ses vœux aux soignants. Or le prochain PLFSS, c’est celui qui est discuté actuellement au Parlement. Et nous y sommes.

La T2A, ou tarification à l’activité, est la règle d’attribution des budgets aux hôpitaux. Lorsqu’un patient se rend à l’hôpital pour une opération, celle-ci se voit attribuer un code, selon sa nature et sa sévérité. Elle est ainsi classée dans une catégorie, appelée groupe homogène de malades (GHM). A ces catégories (environ 2 300 entrées) correspondent des tarifs, aussi nommés groupes homogènes de séjour (GHS).

L’hôpital transmet à la Sécurité sociale la somme des opérations effectuées et est remboursé selon le tarif correspondant. Plus un hôpital effectue d’opérations et d’actes dont le tarif est élevé, plus il touche d’argent. C’est le principe de la tarification à l’activité.

Lors de son adoption, en 2008, la T2A avait pour objectif d’améliorer l’efficience dans les hôpitaux et de remédier aux limites du budget global, qui consistait à reconduire plus ou moins d’une année sur l’autre la même enveloppe à chaque hôpital, sans tenir compte d’améliorations ou de dégradations dans la prise en charge. Le budget global entérinait un état de fait.

Mais la T2A a rapidement posé des problèmes. « Elle a été utilisée comme un couteau suisse », résume le professeur André Grimaldi, l’un de ses pourfendeurs. D’un outil d’allocation des ressources, elle s’est transformée en outil d’incitation utilisé pour favoriser certaines pratiques au détriment d’autres : par exemple, la chirurgie ambulatoire, mieux rémunérée, au détriment des séjours longs.

De plus, tout au long des années 2010, la T2A a servi à faire une régulation volume-prix : lorsque le volume des soins augmentait, les pouvoirs publics baissaient les tarifs associés aux actes, afin de contenir la hausse des dépenses hospitalières. Enfin, elle a été appliquée à des activités qui s’y prêtent très peu, comme les soins palliatifs ou les maladies chroniques.

La T2A est devenue le symbole de l’hôpital-entreprise, du pilotage absurde par les chiffres, de la course à la rentabilité
La T2A est devenue le symbole de l’hôpital-entreprise, du pilotage absurde par les chiffres, de la course à la rentabilité aux dépens du temps accordé aux patients, de la maltraitance institutionnelle et de la concurrence entre hôpitaux.

Alors, que prévoit le prochain budget de la Sécurité sociale ?

Son article 23 détaille : « Les établissements de santé seront financés selon les trois compartiments : compartiment « Financement à l’activité » ; compartiment « Dotation relatives à des objectifs de santé publique » ; compartiment « Dotation relatives à des missions spécifiques » ». Ce changement sera effectif à partir de 2025, après une année de transition en 2024.

Des changements de nomenclature
Première remarque : ces modes de rémunération existent déjà. Il s’agit des Migac, les missions d’intérêt général et d’aides à la contractualisation, qui permettent de financer par exemple les urgences, et les Merri, les missions de recherche, d’enseignement et d’innovation.

Même à l’hôpital public, la T2A ne concerne pas 100 % des activités de médecine, chirurgie et obstétrique, le champ concerné par les annonces qui ont été faites1.

La T2A est moindre dans le public et le privé non lucratif que dans le privé lucratif
Répartition des produits versés par l’Assurance maladie pour les activités de médecine, chirurgie et obstétrique par statut de l’établissement de santé en 2019

Source : Cour des comptes 2023

Le privé lucratif, qui privilégie les activités programmables et circonscrites, est très largement financé à l’activité (plus de 80 %). Le public et une partie du privé non lucratif, le sont beaucoup moins (64 %), car ils n’opèrent pas de tri entre les patients.

Dans les grands hôpitaux, comme les CHU, la part de la tarification à l’activité est inférieure à 60 %, comme le rappelle la Cour des comptes dans un avis de juin 2023.

Le changement proposé dans le PLFSS est largement un changement de nomenclature. Dans le deuxième compartiment – les « dotations sur objectifs de santé publique » –, on retrouve les financements d’intérêt général (Migac) et les expérimentations du fonds d’intervention régional (FIR), ainsi que le financement à la qualité (qui répond aux noms désobligeants d’IFAQ et CAQES).

Dans le troisième compartiment – les dotations sur missions spécifiques –, se situe le financement de l’enseignement et de la recherche. C’est ce que détaille l’annexe 9 du PLFSS.

La principale nouveauté réside dans l’inscription des soins critiques et des soins non programmables dans ce troisième compartiment, ce qui permet de les sortir de la T2A.

« Les soins non programmables impliquent d’avoir des lits vides, ce qui est très désavantageux dans le cadre de la T2A », récapitule l’économiste Brigitte Dormont.

L’engorgement des urgences tient pour une très grande part à l’impossibilité de trouver des lits d’aval. « S’il s’agit de donner une dotation supplémentaire pour les soins non programmables, cela va dans le bon sens », poursuit-elle.

On reste cependant loin du grand soir de la T2A que semble faire miroiter le président Emmanuel Macron.

Habillage opportun
Pourquoi la T2A fait-elle de la résistance, puisque ses écueils sont documentés depuis longtemps ? Le financement à l’activité ne devrait concerner que les activités circonscrites et programmables, comme une prothèse de la hanche qui a été anticipée ou une opération de la cataracte, juge André Grimaldi.

Pour les autres prises en charge (maladie chronique, opérations complexes avec comorbidités), il faudrait malgré tout un pilotage pour apprécier correctement l’évolution des prises en charge.

La tarification à l’activité reste un moyen de contrôler grossièrement le volume de soins délivré d’un hôpital à l’autre
Comment interpréter une stagnation des cas de diabète dans l’hôpital x alors qu’ils augmentent dans l’hôpital y ? « Cela supposerait une discussion médicale qui implique les sociétés savantes », poursuit le professeur Grimaldi. Tout en reconnaissant que les conditions d’une telle discussion ne sont aujourd’hui pas réunies. La tarification à l’activité reste un moyen de contrôler, grossièrement et improprement, le volume de soins délivré d’un hôpital à l’autre.

On est toutefois en droit de se demander si les changements annoncés ne sont pas de l’habillage. La part de financement à l’activité « passerait de 54 % à 49 % entre 2023 et 2026 », précise le PLFSS (annexe 9)2. Plafonner à 50 % la part de la T2A dans le financement des établissements était justement l’un des objectifs déjà affichés par Emmanuel Macron en 2018.

Opportunément, le grand ménage dans les appellations et quelques modifications à la marge vont permettre à l’exécutif d’affirmer qu’il est en train de tenir ses promesses et de faire patienter les grincheux.

Surtout, cela ne change strictement rien au fond du problème. Et le fond du problème, c’est le niveau de l’Ondam, l’objectif national des dépenses d’Assurance maladie.

« Un pourcentage de pénurie reste une pénurie », résume Anne Gervais, du collectif Inter-hôpitaux.

« Le principal problème de la T2A, c’est l’austérité », abonde l’économiste Brigitte Dormont. L’hôpital n’en a pas fini avec la T2A. Mais ce n’est pas le principal problème qu’il a.

Céline Mouzon